Blashill_RedWings

DETROIT -Chaque lendemain de match des Red Wings de Detroit, Jeff Blashill reçoit un rapport. Dans celui-ci, on retrouve des informations comme des données brutes et également des statistiques sophistiquées. Mais ce qui intéresse particulièrement l'entraîneur, ce sont les chances de marquer, une statistique beaucoup plus complexe qu'elle en a l'air.

Il pose d'abord les yeux sur le total des chances de marquer pour chaque équipe. S'il jette un œil à la liste des joueurs, il examine d'abord le différentiel de chacun d'entre eux au chapitre des chances de marquer à forces égales. En creusant un peu plus, il peut analyser la répartition des occasions de marquer par situation (5-contre-5, avantage numérique, désavantage numérique), par type (en échec-avant, en surnombre et après les mises en jeu) ainsi que par qualité (A ou B).
« C'est la principale chose que j'analyse, a dit Blashill. Avons-nous eu plus de chances qu'eux ou est-ce que c'est le contraire? Est-ce qu'un joueur en particulier a créé des occasions de marquer ou en a-t-il accordé à l'adversaire, et dans quelle mesure? En fin de compte, c'est véritablement ce qui déterminer l'issue d'un match. »
Mais si l'on délaisse le résultat, comment la rencontre s'est-elle déroulée?
« Les émotions d'une victoire ou d'une défaite brouillent ton jugement et ton regard sur le déroulement d'un match, a poursuivi Blashill. J'utilise beaucoup les chances de marquer pour dire à mon équipe "Nous avons perdu hier soir, mais voici les chances de marquer. Si nous faisons telle chose à l'avenir, nous allons l'emporter", et vice-versa. "Nous gagnons des matchs en ce moment, mais nous sommes dominés au chapitre des occasions de marquer. Si nous continuons de la sorte, nous allons encaisser des défaites."
« C'est une bonne façon de t'assurer que ton équipe porte attention à sa façon de jouer et pas seulement aux résultats. Ça élimine la frustration d'une défaite ou encore la joie d'une victoire. Je crois que ça t'aide à analyser plus clairement comment tu as joué et à déterminer les correctifs que tu dois apporter. »
Ce n'est toutefois pas facile de comptabiliser les chances de marquer parce qu'on ne peut pas définir précisément ce que c'est. Tu dois avoir des critères qui couvrent d'innombrables scénarios dans un sport rapide et où tous les joueurs sont constamment en mouvement, et appliquer ces critères avec constance. C'est autant une science qu'un art. C'est en évolution constante, et chaque équipe le fait différemment.
Les équipes sont frileuses à partager leurs secrets pour des raisons compétitives, et pour être honnête, Blashill n'a pas dévoilé tout ce que font les Red Wings. Mais il a tout de même offert à LNH.com un aperçu de la façon dont les équipes comptabilisent les chances de marquer et expliquer le concept derrière le processus.
« Je pense que les chances de marquer sont le meilleur outil pour évaluer comment une équipe a joué, qui a eu les meilleures chances de remporter le match et quels joueurs ont créé plus d'occasions qu'ils en ont accordé, a mentionné Blashill. Mais nous utilisons plusieurs autres données et prenons tout avec un grain de sel. »
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Ça semble tout simple, non? Tu sais qu'il y a eu une chance de marquer quand tu en vois une.
Mais ce n'est pas si simple, car c'est subjectif.
« Les chances de marquer peuvent être la source de plusieurs débats dans le bureau d'un entraîneur de la LNH et dans le hockey en général parce que les opinions divergent sur ce qui est une chance de marquer et ce qui n'en est pas une, a résumé Blashill. Au fil du temps, j'ai tenté de comprendre la meilleure façon de les mesurer. »
Blashill a joué comme gardien à l'Université Ferris State entre 1994 et 1998, puis il a occupé les fonctions d'entraîneur adjoint là-bas de 1999 à 2002. À l'époque, les entraîneurs réécoutaient les matchs sur vidéocassette et comptabilisaient les chances de marquer ensemble. On identifiait une occasion de marquer en fonction de la provenance du tir, soit la zone ayant la forme du marbre au baseball devant le filet entre les deux cercles des mises en jeu.
Comment donnait-on la cote « A » à une chance de marquer? En attaque, c'est lorsque les joueurs se levaient au banc en pensant qu'un but allait être marqué. En défensive, c'est lorsque tu grimaçais, convaincu que tu allais accorder un but.
Ç'a été la façon de procéder pendant longtemps. Mais pendant que Blashill progressait en passant des rangs universitaires à juniors puis à professionnels - il est devenu l'entraîneur des Red Wings en 2015-16 - les statistiques avancées se développaient également. Il y a maintenant des données comme les buts attendus, soit la probabilité que des tentatives de tirs deviennent des buts en fonction de formules qui calculent le lien de corrélation entre plusieurs variables et le nombre de buts par le passé.
Les Red Wings font affaire avec un sous-traitant pour compiler les données, et leur équipe de statistiques avancées utilise ces données pour calculer les buts attendus selon leurs propres modèles. Plusieurs critères utilisés dans les modèles des buts attendus sont les mêmes que pour comptabiliser les chances de marquer. La différence, c'est qu'ils peuvent les ajuster en fonction de certaines situations, de leur philosophie et de leur système.

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« Au fil du temps, j'ai tenté de parler des chances de marquer avec différentes personnes que je respecte dans le monde des statistiques avancées, et je crois que ceux qui sont vraiment bons en statistiques avancées pensent encore qu'elles demeurent l'élément le plus tangible, a noté Blashill. Je crois que la plupart des éléments que nous mesurons sont en partie incomplets, alors ce sont les chances de marquer que je privilégie le plus. »
Pour obtenir une certaine constance, les mêmes membres de l'équipe compilent les chances de marquer des Red Wings, et toute l'équipe repasse constamment sur les chances de marquer après le match pour s'assurer qu'elles sont compilées de manière dont le souhaite Blashill.
L'endroit d'où le tir est décoché demeure important, mais les Red Wings ont apporté quelques changements au pourtour de la surface en forme de marbre, afin de cerner une zone intérieure de l'enclave d'où le pourcentage de tirs est plus élevé dans la LNH, et une zone extérieure de l'enclave, d'où le pourcentage de tirs est légèrement moins élevé.
D'autres facteurs prennent en compte la distance que le gardien doit parcourir, le temps dont il dispose pour se préparer, l'espace qui sépare le tireur de ses couvreurs, et si le tireur a décoché sur réception ou s'il a d'abord contrôlé le disque.
Par exemple, un tir de la zone intérieure de l'enclave ne sera pas comptabilisé comme une chance de marquer s'il est faible et que le gardien était stationnaire. D'un autre côté, un tir d'un angle restreint sera comptabilisé s'il s'agit d'un tir sur réception de l'embouchure du filet sur un gardien qui se déplace dans son demi-cercle.
« Il y a davantage de facteurs qui déterminent s'il s'agit d'une chance de marquer que l'endroit d'où provient un tir, et l'une des choses que j'ai apprises de gens bien plus intelligents que moi - mais qui me semble très logique en tant qu'ancien gardien - c'est que la manière dont le gardien doit se déplacer afin de réaliser l'arrêt représente un facteur important quand vient le temps de déterminer s'il s'agit d'une chance de marquer ou non », a mentionné Blashill.
Est-ce qu'un tir raté peut constituer une chance de marquer? Ça dépend.
« Ultimement, je ne tente pas d'évaluer le gardien. Je tente de mesurer l'histoire du match, a souligné Blashill. Si nous obtenons une échappée et que nous ratons le filet, il s'agit d'une chance de marquer pour nous. Si nous obtenons une descente à 2-contre-1 et que nous décochons un très bon tir qui rate le filet, c'est encore une chance de marquer pour nous. Il se peut toutefois que je n'accorde pas de chance de marquer à un joueur qui rate le filet sur une telle chance, mais je vais en accorder une à l'équipe.
« Nous sommes d'avis que si un joueur réalise un jeu défensif pour empêcher le tir d'atteindre le filet, alors il ne s'agit pas d'une chance de marquer. Si nous accordons un 2-contre-1 et que notre joueur parvient à placer son bâton sur la rondelle, même si nous avons accordé une action dangereuse, ce n'est pas une chance de marquer. »
Que faut-il pour qu'une chance de marquer reçoive une note de « A »? Ce sont les mêmes critères. Et une dose de jugement.

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« Est-ce que le tir provient d'un endroit très dangereux?, demande Blashill. Est-ce que le gardien s'est déplacé sur une assez grande distance? Nous n'avons pas chiffré ça de manière précise, mais était-ce une distance importante? Est-ce qu'il s'agissait d'un tir sur réception ou d'un tir décoché rapidement? Était-ce un retour? Les retours sont de très bonnes chances de marquer. Est-ce que le tir a été dévié au vol? Les tirs déviés au ras la glace ne donnent pas le même ratio de buts attendus qu'un tir dévié dans les airs.
« Il faut donc déterminer si cette chance de marquer respecte suffisamment de critères pour recevoir une note de « A ». Il n'est pas question d'un nombre précis de critères. »
Autre point important : Lorsque les Red Wings comptabilisent les chances de marquer pour les joueurs, être sur la glace ne suffit pas. Ça signifie qu'une chance de marquer pour ou contre n'est pas attribuée au joueur simplement parce qu'il est sur la patinoire lorsqu'elle se produit. Il doit être impliqué dans le jeu qui a mené à la chance de marquer. Défensivement, il peut en être exempté s'il n'est pas considéré comme responsable de cette chance en fonction du système préconisé par Detroit.
« C'est un processus, a admis Blashill. Je ne travaille pas de la même manière que je le faisais il y a 15 ans. En fait, pendant une certaine période, soit au cours des dernières années, nous avions l'habitude de donner la note un, deux ou trois à un joueur en fonction de son impact sur la chance de marquer. En fin de compte, ça rendait les choses encore plus difficiles, sans les rendre plus claires, et lorsque j'en ai parlé à des gens de statistiques, ils m'ont dit que ça ne valait pas la peine. Que tout allait finir par s'annuler. J'ai donc décidé de laisser tomber.
« Nous avons tenté bien des choses afin de rendre cet outil aussi puissant que possible. »
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Lorsque le système de suivi de la rondelle et des joueurs de la LNH va s'améliorer et que les équipes vont être meilleures afin de collecter les données, l'information disponible sera plus précise. On pense entre autres à l'endroit d'où un tir est décoché ou sa vélocité, à la distance entre le tireur et son couvreur, à la distance qu'un gardien doit parcourir pour effectuer un arrêt. Les modèles de buts attendus vont être poussés encore plus loin.
« Vous pouvez ensuite retirer de l'équation la subjectivité des entraîneurs qui observent le jeu, et les données deviennent vraiment basées sur vos modèles de buts attendus », a souligné Blashill.
Mais pour le moment, les Red Wings vont continuer à comptabiliser les chances de marquer de la même manière. Les joueurs voient les rapports de l'équipe après chaque match. Blashill ne remet pas aux joueurs leur rapport individuel après chaque rencontre, mais il peut utiliser ces rapports pour donner de la rétroaction aux joueurs après des segments de 10 matchs.
L'objectif n'est pas de créer ou d'alimenter un débat. C'est de montrer et d'illustrer ce qui se passe vraiment sur la glace.
Detroit a amorcé la saison avec un dossier de 8-9-2 et occupe le 17e rang de la LNH au chapitre des buts marqués par match (2,79). La saison dernière, les Red Wings ont terminé à l'avant-dernier rang (2,23) devant les Ducks d'Anaheim (2,21).
« Quels joueurs ont généré plus de chances qu'ils en ont accordé, et est-ce que ça correspond à ce que j'ai pensé du match?, a déclaré Blashill. Parfois, si ça ne correspond pas, je vais regarder le match à nouveau et je vais me demander si mon évaluation était mauvaise. Ça peut aussi être l'un de ces matchs ou un joueur a très bien joué, mais où la rondelle n'a pas roulé pour lui, ou vice-versa. Comme pour tout le reste, c'est un outil qui nous aide à évaluer. Nous ne basons pas une décision uniquement là-dessus. »