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BROSSARD – Jakub Dobes a toujours eu une sorte de pressentiment, comme la conviction qu’il finirait un jour par atteindre la LNH. Il ignorait le chemin – et surtout les détours – à emprunter pour se rendre à la grande ligue, mais il savait qu’il parviendrait à destination.

« Je sais que ça peut paraître bizarre », reconnaît le gardien en entrevue avec LNH.com, dans le vestiaire du centre d’entraînement des Canadiens de Montréal. « J’ai toujours cru que je pouvais y arriver. Même si je n’étais pas le meilleur ou le plus reconnu dans ma jeunesse, j’avais le sentiment que ça fonctionnerait. »

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N’allez toutefois pas croire que le jeune portier nourrissait ses idées de grandeur en regardant les matchs de ses idoles au milieu de la nuit, au domicile familial d’Ostrava, une ville industrielle de l’ouest de la Tchéquie.

« Je n’ai jamais été ce genre d’enfant, s’exclame-t-il. Je regardais probablement Disney Channel! »

À chacun ses méthodes. Au lieu de rêvasser en s’imaginant prendre la place d’un Andrei Vasilevskiy – une de ses inspirations – ou d’un Carey Price sur la grande scène montréalaise, Dobes avait plutôt les yeux rivés sur la ligne d’arrivée. Sur l’objectif final. Toutes les décisions qu’il a prises dans sa vie ont été guidées par ce but, même s’il n’y avait aucune garantie.

C’est exactement pour cette raison qu’il a quitté son pays natal, seul, à l’âge de 15 ans pour se joindre à un programme préparatoire scolaire à St. Louis, au Missouri – une équipe menée par le contact d’un de ses entraîneurs en Tchéquie.

« Je ne me suis jamais senti désiré dans les programmes tchèques », confie le jeune homme de 23 ans. « Si j’étais resté là-bas, je ne sais même pas si je jouerais encore au hockey. Je devais quitter le pays et tout laisser derrière parce que je ne recevais pas le soutien dont j’avais besoin.

« Ce n’était pas suffisant pour atteindre mon objectif. C’était mieux pour moi d’aller en Amérique du Nord, de me rapprocher d’où tout se passe et de prouver ce que j’étais en mesure de faire. »

Contrairement aux joueurs européens qui décident de traverser l’Atlantique quand vient le temps de jouer dans la Ligue canadienne de hockey (LCH) ou dans la USHL, le circuit junior américain, Dobes s’est lancé dans le vide encore plus tôt. Avec le soutien inconditionnel de ses parents, bien sûr.

Il a passé ses deux premières saisons aux États-Unis avec les Blues AAA, dans l’espoir de voir les portes s’ouvrir aux niveaux supérieurs. Ça ne s’est toutefois pas fait en claquant des doigts.

« Je me souviens qu’après ma première année avec les Blues, aucune équipe ne me voulait dans la USHL, lance-t-il en riant de bon cœur. Personne ne voulait me donner une chance. J’ai donc dû disputer une deuxième saison à ce niveau avant qu’on me repêche dans la USHL. Ç’a pris un peu de patience. »

Des petits pas

Les Lancers d’Omaha lui ont donné un peu d’espoir en le sélectionnant au sixième tour, en 2019, mais ils ne lui ont pas confié le filet avant qu’il fasse ses preuves dans la NAHL – une ligue inférieure. Dobes a répondu en maintenant une moyenne de buts alloués de 1,59 et un taux d’efficacité de ,946 en 10 matchs avec Topeka.

Grâce à cet impressionnant rendement, il s’engageait envers l’Université d’Ohio State, dans la NCAA, après sept matchs et recevait un appel pour finir la saison à Omaha après dix rencontres.

« Tout le monde voyait son potentiel », se souvient son agent Allain Roy, qui en est dans les derniers mois de son association avec Dobes. « Du côté mental, de sa confiance, ç’a pris un peu plus de temps. Il a grandi comme gardien en passant par la NAHL avant la USHL. Au lieu de faire de gros pas, il en a fait plusieurs petits. Ç’a bien fonctionné pour lui.

« L’important pour un gardien, c’est de jouer dans des équipes qui peuvent lui donner du temps de jeu. Si de jeunes gardiens ne jouent pas régulièrement à leur première année dans la LCH ou dans la USHL, ils risquent de perdre leur confiance et de ne plus jamais la retrouver. »

Ç’a été complètement l’inverse pour Dobes. Son arrivée à Omaha lui a permis de faire le plein de confiance et d’attirer l’attention des Canadiens, qui l’ont repêché au cinquième tour en 2020.

« J’ai eu deux belles saisons à Omaha, fait valoir le principal intéressé. Ce sont ces années qui ont fait de moi le gardien solide mentalement que je suis aujourd’hui. On a été très exigeant à mon endroit là-bas, mais je considère que ces années ont été les plus bénéfiques de toute ma carrière. »

Son parcours, sinueux jusque-là, s’est ensuite vite transformé en ligne droite. Il a passé deux saisons comme numéro un à Ohio State et fait le saut chez les pros avec le Rocket de Laval, l’an dernier.

Une vie changée

Ce qui nous mène au 27 décembre, jour de son premier rappel avec les Canadiens. Le jour qui a confirmé que le pressentiment qu’il avait depuis son enfance était le bon. Il était enfin un joueur de la LNH.

« Après toutes ces années, c’était bien de voir que tous mes efforts avaient rapporté, explique-t-il. J’ai l’impression d’avoir fait beaucoup de sacrifices dans ma vie. Ça n’a pas été facile de quitter le nid familial à 15 ans, mais c’est ce que je devais faire pour vivre mon rêve. »

Le lendemain de son rappel, il signait sa première victoire par jeu blanc contre les champions en titre de la Coupe Stanley, les Panthers de la Floride. Il s’agissait du premier de cinq gains en autant de sorties pour Dobes, qui a grandement contribué à remettre le Tricolore dans la course aux séries éliminatoires.

Ces moments exaltants lui ont aussi permis de renouer en personne avec son père Zdenek pour la première fois en plus d’un an. Sa mère Viera lui rend souvent visite – elle a d’ailleurs assisté à son premier match – mais le paternel a un peu de misère avec l’avion.

« Ça doit être quelque chose de très spécial pour qu’il se laisse convaincre de voler jusqu’ici, relate Jakub avec le sourire. Il voulait être témoin de cette étape importante de ma carrière. »

Zdenek est arrivé juste à temps pour voir son fils battre les Rangers de New York à son tout premier départ au Centre Bell. Après deux arrêts magistraux de fiston en prolongation, la foule s’est levée d’un trait et s’est mise à scander son nom. Un signe que le public montréalais l’a rapidement adopté. Et que la vie du jeune gardien vient de changer.

« Ma vie est différente, dans plusieurs aspects, conclut Dobes. J’essaie simplement d’apprécier chaque journée et de me concentrer sur ce qui est important : le hockey, la famille et la santé. […] Ce qui se passe est vraiment incroyable. Il n’y a pas d’autres mots pour décrire ça. C’est incroyable. Je vis un rêve. »