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C’était le 28 octobre 2005. Dany Heatley venait à peine d’entreprendre sa première saison avec les Sénateurs d’Ottawa. Ce soir-là, il découvrait à quel point la rivalité avec les Maple Leafs de Toronto pouvait être intense. Dans un restaurant de la Ville-Reine, un partisan était sur son cas.

Heatley n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Il avait parfois le verbe facile. Il s’est donc permis de répondre aux railleries.

Vingt-quatre heures plus tard, il est passé de la parole aux actes.

Le 29 octobre 2005, les Sénateurs ont signé une victoire convaincante de 8-0 sur la patinoire du Air Canada Centre. Heatley a marqué le troisième but de son équipe. Et le quatrième. Et le cinquième. Et le sixième.

«La veille du match, Heater avait répondu au partisan qu’on allait gagner tous nos matchs contre les Leafs durant cette saison», se souvient Chris Neil. «Il était très sérieux! C’était le type de compétiteur qu’il était. En fait, les trois membres du trio partageaient cette caractéristique. Ils étaient de formidables leaders.»

Chris Phillips conserve un souvenir similaire de l’attaquant qui a connu deux saisons de 50 buts avec Ottawa.

«On avait parfois l’impression que Heater était un type insouciant qui aimait bien la vie. Eh bien moi, j’étais celui qui était assis à ses côtés dans l’avion. Je peux vous dire que je le voyais souvent regarder, sur son ordinateur, des vidéos du gardien qu’on s’apprêtait à affronter. Il était à la recherche de tendances. Il essayait de comprendre où il devait lancer pour marquer», explique l’ancien défenseur. «Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il pouvait se montrer extrêmement sérieux au travail.»

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Neil et Phillips travaillent toujours au Centre Canadian Tire. Ils seront assurément aux premières loges, jeudi, lorsque Heatley effetuera son grand retour à Ottawa. Pour la première fois en 15 ans, les trois membres du Trio Pizza – Heatley, Daniel Alfredsson et Jason Spezza – seront réunis. Ils participeront à la mise en jeu protocolaire, avant le match qui opposera les Sénateurs aux Red Wings de Détroit.

«Pour nos partisans, il s’agit d’une formidable initiative. C’est fou de penser que ça fait 20 ans, déjà. Quand on y pense, on croise beaucoup de jeunes partisans, à l’aréna, qui n’ont jamais eu la chance de voir ce trio à l’œuvre. Ils n’étaient même pas nés à l’époque», s’exclame Phillips. «Les partisans qui sont un peu plus âgés et qui se souviennent de cette époque auront la chance de remercier Heater. Il a quand même connu deux saisons consécutives de 50 buts. Personne d’autre n’a réussi à en faire autant dans l’histoire des Sénateurs. Nos partisans auront une belle opportunité de lui dire merci.»

Durant les quatre saisons du Trio Pizza, les Sénateurs ont conservé une fiche de 179-112-37. Durant cette période, Heatley a marqué 180 buts et il a récolté 353 points. Alfredsson le suivait de très près, avec 353 points, dont 136 buts. On disait parfois de Spezza qu’il était un pur fabricant de jeux. Il a pourtant fait bouger les cordages à 119 reprises, durant cette période où il a inscrit 342 points.

«Le temps passe tellement vite», dit Antoine Vermette. «À l’époque, on savait très bien qu’on formait une bonne équipe. Pour nous, les séries, c’était presque une formalité. Quand la saison débutait, on ne se demandait pas si on allait participer aux séries. On se demandait si on allait gagner. On prenait presque tout ça pour acquis. On était jeunes. On était insouciants. Il fallait parfois que les vétérans de notre équipe nous rappellent que ces opportunités ne se présentent pas forcément chaque année durant une carrière.»

«Chaque joueur apportait quelque chose de différent. Ensemble, je suis convaincu qu’ils formaient le meilleur trio de toute la LNH», estime Wade Redden. «Spezz et Heater formaient le duo le plus classique du hockey. Il y avait le passeur et le franc-tireur. Ils étaient parfaits, ensemble. Je crois qu’il faut d’abord rendre hommage à Alfie, qui était capable de rendre n’importe quel trio meilleur.»

Le Trio Pizza était redoutable à forces égales. C’était encore pire lorsque les Sénateurs se retrouvaient en supériorité numérique! Entre 2005 et 2009, l’équipe a conservé un taux d’efficacité de 19,2 %, bon pour le septième rang à travers la LNH. Avec Redden et – souvent – Neil, le trio était toujours dangereux.

«Je regardais les matchs de la fin de semaine dernière en Californie et je constatais à quel point les choses ont changé depuis le temps», dit Phillips. «Souvent, de nos jours, on voit le porteur de la rondelle effectuer une passe vers l’arrière pour faciliter la percée en territoire adverse. À l’époque, on n’y pensait même pas. N’importe quel joueur qui transportait la rondelle pour nous arrivait à pleine vitesse, d’un côté comme de l’autre. Je ne me souviens pas d’une seule rencontre d’équipe où il a été question des entrées de zone en supériorité numérique. On entrait, un point c’est tout.»

«En avantage numérique, on avait Heater d’un côté et Alfie de l’autre. Il y avait donc une menace de chaque côté. Spezz était capable de très bien alimenter les deux autres», se souvient Neil. «On a décidé d’ajouter un type pour assurer une présence devant le filet adverse. Un jour, Alfie m’a demandé d’aller m’installer devant le filet. Il m’a dit que je n’avais rien à craindre parce qu’ils feraient bien attention de ne pas m’atteindre. Il avait raison. Leurs lancers trouvaient le chemin du filet.»

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Marquer à tout prix

Redden a tissé des liens particuliers avec Heatley, durant les belles années du Trio Pizza. Les deux coéquipiers des Sénateurs passaient leurs étés dans la région de Kelowna, en Colombie-Britannique.

«On s’entraînait ensemble, avec d’autres hockeyeurs qui vivaient dans le coin. Je peux vous assurer que lors de nos matchs amicaux estivaux, Heater n’était pas le type le plus populaire. Voyez-vous, il ne s’empêchait jamais de décocher des lancers sur réception. Et personne n’aimait recevoir un de ces lancers sur une cheville», raconte Redden. «Heater voulait toujours marquer des buts. C’est pour ça qu’il jouait. C’était une bonne façon de voir les choses.»

À l’époque, Heatley aimait lancer, par-dessus tout. Plus il lançait, plus il avait de chances de marquer.

«Ses lancers n’étaient pas toujours les plus beaux, les plus puissants ou les plus précis», se souvient Vermette. «Souvent, la rondelle se frayait un chemin. Il avait juste confiance en ses moyens. Il trouvait une façon de surprendre le gardien.»

Heatley avait l’habitude de dire quelque chose que Neil n’a jamais oublié.

«Il me disait que 60 % de ses tirs ratés se retrouvaient dans le filet. Parfois, quand il voulait lancer dans le haut du filet, il pouvait lui arriver de surprendre le gardien adverse entre les jambières. La clé du succès, c’était de lancer vers le filet», explique Neil.

Neil s’implique depuis quelques années comme entraîneur de hockey mineur à Ottawa. Il lui arrive à l’occasion de partager cette anecdote avec les jeunes joueurs qu’il dirige.

Avec la contribution d’Ian Mendes