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MONTRÉAL - Parfois, au hockey comme dans la vie, tout est question d’opportunisme. Il suffit de demander à Jake Evans de se remémorer la soirée du 16 novembre 2019.

En panne sèche après avoir disputé les 17 premiers matchs du calendrier 2019-2020 du Rocket de Laval, c’est depuis la galerie de presse qu'Evans est censé assister au duel contre les Islanders de Bridgeport.

Puisque « journée sans match » ne rime pas avec « journée de congé », et sachant qu’il ne serait pas en uniforme plus tard, le natif de Toronto endure une intense séance de patinage le matin même. En quittant la glace, tout porte à croire que son travail est fini pour la journée...

... jusqu’à ce que les Canadiens procèdent au rappel de Charles Hudon, provoquant la réinsertion d’Evans dans la formation. En dépit d’un temps d’utilisation limité, il profite d’un filet déserté par Bridgeport en fin de rencontre pour marquer.

Récupérant la rondelle dans sa propre zone, Evans envoie un tir du revers d’un bout à l’autre de la patinoire, la rondelle parcourant 175 pieds avant d’aboutir dans la cage, octroyant du même coup à l’attaquant son premier but de la saison.

Après avoir célébré avec ses coéquipiers au centre de la patinoire, il est accueilli à bras ouverts par l'entraîneur-chef de l'époque, Joël Bouchard, à son retour au banc. L’étreinte semble dissiper d’un seul coup les frustrations accumulées au cours de la saison.

Qu’arrive-t-il lors des 33 matchs suivants? Evans récolte 33 points et est rappelé par les Canadiens en février. Il ne regarde ensuite plus jamais derrière.

Il ne suffit pas d’atteindre la LNH pour s’y tailler un rôle; il faut aussi trouver une manière d’y rester. Pour sa part, Evans découvre rapidement une façon qui lui est profitable. Comme tout attaquant, il souhaite marquer des buts et produire offensivement. C’est toutefois à l’autre bout de la patinoire que se révèle sa vraie valeur.

« Je pense que tout joueur de la LNH doit trouver la place qui lui revient. J’ai en quelque sorte été placé dans une position que j’ai appris à aimer », a dit Evans à propos de son rôle de centre défensif. « Bizarrement, j’aime prendre part aux mises au jeu et figurer au sein d’une unité en désavantage numérique. Tu ne veux pas que l’équipe combatte avec un homme en moins, mais j’aime me retrouver dans cette situation et disputer des mises au jeu importantes en fin de match. »

Depuis le début de la saison 2023-2024, parmi tous les attaquants de la LNH, Evans est celui qui a disputé le plus de temps de jeu en infériorité numérique, tout en préservant un pourcentage de succès de 50,8 % dans le cercle des mises au jeu.

« Je ne me fie pas à si j’ai marqué un but ou non », explique Evans à propos de sa vision du travail bien fait. « Ce qui m’importe, c'est d'avoir été en mesure de créer des chances et d'avoir tenu l’équipe adverse loin de notre filet. Et, à mes yeux, les mises au jeu sont importantes. Je veux connaître un succès d’au moins 50 % à chaque match. »

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Sa maturité et sa mentalité axée sur l’aspect défensif de son jeu, Evans les explique par les deux années qu’il a passées sous l’aile de Phillip Danault. En une courte période, l’influence du centre québécois a eu un grand impact sur un Evans en plein développement.

« Il a toujours été bon dans le cercle des mises au jeu et jouait toujours intelligemment défensivement. Il a souvent été placé dans des situations difficiles, mais il paraissait toujours solide et aidait l’équipe », ajoute Evans au sujet de Danault.

Si vous interrogez le produit de l’Université de Notre-Dame sur les critères d’efficacité à combler lorsqu’on évolue dans la LNH, il vous parlera de constance.

« La saison est longue, et il y aura beaucoup de hauts et de bas, explique Evans. Il est important de toujours trouver un moyen d’aider l’équipe, même si tu ne te sens pas à ton meilleur. La clé, c’est d’être constant, donc de ne pas connaître trop de creux et de matchs où non seulement tu n’aides pas l’équipe, mais tu lui nuis. Il faut y aller une chose à la fois et trouver de petits aspects qui pourront aider », ajoute-t-il.

En ce moment, c’est exactement ce que fait l’avant de 28 ans. Depuis le début de la saison, Evans agit comme une ancre pour les Canadiens, contre vents et marées, et comme un moteur qui n’étouffe jamais. Avec 14 points en 26 matchs, celui qui en est à sa sixième année avec le Tricolore pourrait atteindre un record personnel s’il continue de produire à ce rythme.

« J’ai l’impression que chaque saison, il y a des séquences lors desquelles tu as très confiance en tes moyens. Cette saison-ci m’apparaît un peu différente, admet Evans. En ce sens que, même si je ne me sens pas à mon meilleur physiquement, je me sens tout de même bien sur la glace parce que je connais et comprends maintenant la Ligue. »

« Ça prend quelques années avant de vraiment te sentir bien dans ton rôle, de savoir dans quoi tu excelles et quelles situations éviter. Maintenant, je me sens en confiance. »

Dans la NFL, l'appellation « M. Impertinent » est réservée au tout dernier choix au repêchage, puisqu’il est difficile de lui prédire un grand apport à la Ligue. Choisi au 207e rang sur 210 au Repêchage 2014 de la LNH, Evans est passé très près de se voir attribuer ce surnom emprunté, mais sa sélection tardive s’est finalement avérée n’être qu’un simple chiffre.

« Quand tu atteins un certain âge, le tour auquel tu as été repêché n’importe plus », a indiqué Martin St-Louis aux journalistes cette saison. « Peux-tu jouer? », a-t-il ensuite rhétoriquement demandé. « Si tu peux jouer, tu vas jouer dans cette Ligue, que tu aies été repêché au premier tour ou pas du tout. Parce qu’éventuellement, la Ligue se fiche que tu aies été sélectionné au premier tour. »

Chose certaine, c’est que l’entraîneur-chef des Canadiens s’en fiche aussi. D’ailleurs, St-Louis a avoué n’avoir aucune idée qu’Evans était un choix de septième tour. Et en l'ayant simplement vu jouer cette saison, vous ne le sauriez pas non plus.

« Jake sait ce qu’il vaut, a dit St-Louis. Depuis le camp d’entraînement, il démontre qu’il s’est développé en tant que joueur et il a mérité cette opportunité. »

Evans connaît l’importance de saisir l’occasion qui se présente. Après tout, le moment décisif de sa carrière jusqu’à présent est un but dans un filet désert marqué à 175 pieds de distance lors d’un match auquel il n’était même pas censé participer. Cinq ans plus tard, Evans continue de profiter au maximum de cette opportunité dans la LNH et de prouver qu’il est l’un des joueurs les plus sous-estimés de la Ligue.

Un texte d’Evan Milner, traduit par Anne-Charlotte Pellerin