Pierre-Édouard Bellemare croyait que sa carrière dans la LNH serait courte – s’il arrivait même à s'y établir – quand il a signé un contrat avec les Flyers de Philadelphie le 11 juin 2014.
Quelles sont les chances qu’un joueur de 29 ans non repêché natif de Le Blanc-Mesnil, en France, et avec aucune expérience de hockey professionnel en Amérique du Nord atteigne la meilleure ligue au monde, se demandait-il.
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« Honnêtement, je ne pensais même pas que j’allais jouer un match à mon arrivée dans la Ligue, a raconté Bellemare. Je me souviens de m’être dit que j’avais plus de hockey derrière moi que devant. »
C’est la raison pour laquelle il y avait un mélange de stupeur et de fierté dans la voix de l’attaquant de 39 ans du Kraken de Seattle, dont le 700e match dans la LNH approche.
« J’en suis fier, mais c’est quelque peu surréel parce que je suis un joueur de hockey français, a ajouté Bellemare. Je ne suis pas un Québécois, mais bien un Français. Toute ma vie, on m’a dit que c’était impossible de simplement faire le saut dans cette ligue. Je suis ici et je ne pense pas que je vais véritablement le réaliser avant la fin de ma carrière. »
L’improbable parcours de Bellemare dans la LNH a commencé avec trois saisons à Philadelphie (2014 à 2017), avant des passages avec les Golden Knights de Vegas (2017 à 2019), l’Avalanche du Colorado (2019 à 2021) et le Lightning de Tampa Bay (2021 à 2023). Il a signé un contrat d’un an avec le Kraken le 7 juillet 2023, après avoir pris part à la finale de la Coupe Stanley avec les Golden Knights en 2018 et avec le Lightning en 2022.
Attaquant défensif et spécialiste de l’infériorité numérique, Bellemare totalise 137 points (64 buts, 73 passes) en 696 matchs de saison régulière en carrière ainsi que 15 points (cinq buts, 10 aides) en 85 rencontres des séries éliminatoires.
« Le caractère, l’éthique de travail, l’entraînement auquel il se soumet durant les étés, sa robustesse », a énuméré Craig Berube, le premier entraîneur de Bellemare avec les Flyers en 2014-15. « Il se présente chaque soir, il joue malgré des blessures et il se comporte bien malgré ces situations. Il se satisfait de son rôle et il fait son travail, et c’est ce qui fait la différence. C’est la raison pour laquelle les équipes veulent encore de lui à 39 ans et peut-être même à 40 ans l’année prochaine. Elles savent ce qu’elles vont obtenir de lui chaque soir. »
Bellemare a commencé à jouer au hockey à l’âge de 6 ans après que lui et son frère de 10 ans, Geoffroy-Alexis, eurent participé à un atelier de hockey avec leur sœur de 13 ans, Aurore-Annick, pour découvrir ce sport.
Un entraîneur de patinage artistique et de hockey a remarqué les enfants et demandé à leur mère Frédérique, aujourd’hui décédée, combien de fois ils avaient patiné. Il lui a demandé de revenir avec les enfants une autre journée, puis il lui a plus tard suggéré d’inscrire les garçons au hockey.
Le hockey a nécessairement entraîné son lot de sacrifices pour une famille pauvre avec cinq enfants.
« Le hockey n’est pas un sport que tu peux pratiquer si tu as des problèmes financiers, a expliqué Bellemare. Donc au début, ma mère a dit à mon frère et moi : "Vous allez pouvoir jouer au hockey, mais vous n’avez pas le droit de donner un effort de seulement 10 ou 20 pour cent. Sinon, nous allons mettre la nourriture dont nous nous privons sur la table, donc je veux vous voir travailler à l’entraînement. Ayez du plaisir, mais travaillez. Sinon, il n’y a aucune raison de jouer au hockey." »
Frédérique est devenue une véritable maman de hockey, entassant la famille et tout l’équipement dans une Peugeot 205 et faisant des heures de route pour conduire les garçons aux entraînements et aux matchs.
« Je me souviens de Pierre-Édouard à l’âge de 14 ans. Il parcourait les banlieues de Paris dans une petite voiture avec sa mère et ses deux sœurs », a dit Sébastien Roujon, qui a dirigé Bellemare et qui est maintenant entraîneur au centre d’entraînement national féminin à l’extérieur de Paris. « Il transportait son sac dans le RER (Réseau express régional, un système de transports en commun dans la région de Paris). Pierre-Édouard est un modèle de sacrifice pour tous les joueurs français. »
Bellemare a voyagé à travers l’Europe en évoluant au sein d’équipes nationales avec des joueurs de son groupe d’âge. C’est à ce moment-là qu’il a vécu du racisme dans le sport. Il s’est joint à la Coalition d'inclusion du joueur de la LNH en février pour devenir son seul membre provenant d’Europe.
« J’avais 14 ou 15 ans et j’ai commencé à aller dans des pays de l’Est qui n’avaient pas vu beaucoup de gens noirs, a raconté Bellemare. Ç’a changé aujourd’hui, mais à l’époque, c’était bizarre d’être la cible d’insultes racistes, alors que je n’étais même pas certain de ce qui se passait. »
Bellemare s’est taillé une place dans la meilleure ligue professionnelle en France à l’âge de 17 ans avec Rouen en 2002-03, puis il a signé un contrat avec Leksand, dans la ligue Allsvenskan en deuxième division suédoise. Ce passage en Suède l’a aidé à devenir l’attaquant défensif et le joueur d’équipe qui fait sa marque de commerce dans la LNH aujourd'hui.
« Je débarque en deuxième division en Suède, où tout le monde a été repêché et où tout le monde est meilleur et plus imposant que moi, a-t-il mentionné. Voici le conseil que m’a donné ma mère à l’époque : "Mets l’accent sur le travail." J’ai recommencé à zéro et j’ai essayé de m’améliorer et de jouer un peu mieux pour l’équipe. Je ne me concentrais pas sur ce que je devais faire pour moi-même, mais plutôt sur ce dont l’équipe avait besoin.
« Après trois ans, je suis devenu l’un des meilleurs joueurs en deuxième division. J’ai fait le saut dans la meilleure ligue en Suède, et encore une fois, je me suis retrouvé sur un quatrième trio avec pratiquement aucun temps de jeu. Je me suis dit : "Pas de problème. Je suis passé par là auparavant. Au travail, on recommence." Trois ans plus tard, mon nom a commencé à circuler chez une équipe de la LNH. »
Les Blackhawks de Chicago ont démontré de l’intérêt pour Bellemare, mais rien ne s’est concrétisé en raison d’une blessure à une hanche et au pelvis qui l’a limité à 29 matchs en 2012-13.
Avec la France au Championnat du monde sénior 2014 de la FIHG en Biélorussie, Bellemare a inscrit le but décisif dans un gain de 3-2 en tirs de barrage contre le Canada en ronde préliminaire. Il avait eu des discussions avec les Canadiens de Montréal, mais quand les Flyers ont appelé, il était intrigué. Jouer pour une équipe américaine avait ses avantages, car son épouse Hannah a la nationalité suédoise et américaine, et elle n’avait donc pas besoin d’un visa pour travailler aux États-Unis.
Bellemare a signé un contrat avec les Flyers à 29 ans et il s’est taillé une place au centre du quatrième trio sur les unités d’infériorité numérique. Plus d’une décennie plus tard, Bellemare ne montre aucun signe de ralentissement. Il veut aider le Kraken à participer aux séries et à remporter la Coupe Stanley, et il veut aider l’équipe nationale de France à se qualifier pour les Jeux olympiques 2026 de Milan-Cortina.
Il compte rejouer avec la France, classée au 12e rang mondial par la Fédération internationale de hockey sur glace, dans un dernier tournoi de qualification olympique du 29 août au 1er septembre à Riga, en Lettonie. Il s’agirait de son sixième tournoi de qualification.
« J’ai toujours dit à ma mère que le jour où je cesserais d’apprendre serait le jour où je cesserais de jouer, a-t-il affirmé. J’apprends encore, donc je ne sais pas pourquoi j’arrêterais parce que je me sens en pleine forme. À moins que les équipes ne veuillent pas de moi, mais ce n’est pas le cas jusqu’à maintenant, et j’espère que ça n’arrivera pas. »