Jamais un joueur français n'avait été repêché à un rang aussi élevé par une équipe de la LNH. C'était le 24 juin au United Center de Dallas. Les Blue Jackets de Columbus ont jeté leur dévolu sur Alexandre Texier au 45e rang en deuxième ronde.
Pour la Fédération française de hockey sur glace, il y avait lieu de célébrer. Non seulement s'agissait-il d'une journée historique, mais Texier est à 100 pour cent un produit du système de hockey de l'Hexagone, lui qui a gravi les échelons avec le club de Grenoble.
À la recherche du prochain Texier
Le hockey français s'est donné les outils pour développer des joueurs du calibre de la LNH
L'histoire ne dit pas si Texier évoluera un jour dans la LNH, mais la professionnalisation du hockey français devrait bientôt faire naître d'autres espoirs de cette qualité.
Avouons-le, le pays n'est pas exactement le premier épié par les dépisteurs de la Ligue nationale de hockey. Depuis 2001, seulement trois joueurs français ont été repêchés dans la LNH : Cristobal Huet par les Kings de Los Angeles en 2001 (214e), Tim Bozon par les Canadiens de Montréal en 2012 (64e) et Texier.
Ça n'a toutefois pas empêché quatre joueurs d'évoluer dans la Ligue nationale de hockey depuis 2011, et ce, même s'ils n'avaient pas été repêchés. Pierre-Édouard Bellemare (Golden Knights de Vegas) et Antoine Roussel (Canucks de Vancouver) sont les deux joueurs originaires de la France actuellement dans la LNH. Stéphane Da Costa (Sénateurs d'Ottawa, 2011-2014) et Yohann Auvitu (Devils du New Jersey et Oilers d'Edmonton, 2016-2018) complètent le quatuor.
À LIRE AUSSI : La révolution française du hockey | Le Championnat du monde, une autre étape vers la LNH pour Texier | La semaine des francophones sous la loupe
Même dans la Ligue canadienne de hockey, les équipes juniors ne se tournent pas fréquemment vers les Bleus. Seuls Texier et Bozon ont été choisis lors du repêchage européen depuis 2008.
C'est donc dans l'univers du hockey français que les joueurs doivent se développer. Les intervenants de la Fédération française de hockey sur glace, avec en tête son président Luc Tardif, ont bien compris qu'il fallait davantage professionnaliser les équipes de la Ligue Magnus, le calibre supérieur en France.
« Nos championnats se sont fortement améliorés. Avant, on ne jouait pas assez de matchs. En Ligue Magnus, c'est passé de 26 à 44. Avant, on perdait des joueurs parce qu'on ne jouait pas assez de matchs », a expliqué Tardif, un Canadien de Trois-Rivières qui s'est dirigé vers le Vieux Continent en 1975 et qui a fondé la Fédération, en plus de devenir l'une des personnalités les plus influentes dans le monde des sports d'hiver français.
Bellemare était aux premières loges pour voir les changements s'opérer. Il a commencé sa carrière à Rouen en Ligue Magnus avant de se diriger en deuxième division suédoise en 2006, mais a toujours répondu présent à l'appel de l'équipe nationale pour les rendez-vous internationaux.
« La Fédération s'en est rendu compte. Avant, quand on jouait contre une grosse équipe, on arrivait à tenir que pendant 30 minutes parce qu'on était fatigué. En Ligue, on jouait 40 matchs alors que les équipes qu'on affrontait en jouaient 80 », s'est souvenu l'attaquant des Golden Knights.
Ce calendrier plus imposant a permis à la Ligue Magnus d'accueillir chaque année une demi-douzaine de hockeyeurs qui ont joué dans la Ligue nationale de hockey.
« En 1989, j'étais à Épinal et j'étais certain qu'on me jouait un poisson d'avril quand on m'a dit que Bob Gainey allait venir jouer, se souvient Tardif. Maintenant, c'est plus monnaie courante et on y pense à deux fois. Ce n'est pas parce que tu as joué dans la LNH que tu vas arriver sur une grande patinoire, avec un système de jeu différent et performer. Il faut s'habituer aux coutumes, aux organisations. Avant, on recrutait au CV. Maintenant, ça va plus loin. »
Ce ne sont toutefois pas les anciens de la LNH qui apportent le plus à la Ligue Magnus, mais plutôt les joueurs français qui se sont expatriés dans un calibre supérieur plus tôt dans leur carrière et qui reviennent au bercail. Leur bagage d'expérience fait qu'ils sont maintenant ciblés en priorité par les organisations françaises avant un joueur d'une autre nationalité.
« Quand ils reviennent, ils ont une façon d'être qui est plus professionnelle, a indiqué Bellemare. La génération avant moi, quand un joueur partait un an et revenait en France, c'était un échec pour lui. Maintenant, il revient dans son club (de jeunesse) pour l'aider. Ce n'est plus un échec pour eux. »
Quel chemin suivre?
Grâce à ces changements, les jeunes hockeyeurs français se retrouvent dans un univers beaucoup plus compétitif pour progresser. Le hockey mineur a aussi été grandement amélioré en faisant appel à des entraîneurs diplômés pour former la relève, plutôt qu'à des joueurs qui occupaient ce boulot à temps partiel, bien souvent sans formation, comme dans le passé.
Un autre changement majeur est sans aucun doute la construction du centre national d'entraînement de l'Équipe nationale de France à Cergy-Pontoise, à l'image de celui mis en place aux États-Unis qui a connu un vif succès et permis de développer certains des meilleurs joueurs au monde. Un investissement majeur de 40 millions d'euros (60 millions $ canadiens) fait avec l'aide de la communauté afin de développer la discipline au niveau masculin, mais aussi féminin.
Ces deux initiatives devraient permettre rapidement à de jeunes Français d'émerger. Il restera alors à décider quel chemin suivre. Dans le cas de Texier, il a opté pour la Finlande une fois repêché afin de se mesurer à un meilleur calibre. Bellemare, c'était la Suède, Roussel, le hockey junior canadien, alors que Da Costa avait privilégié la route de la NCAA, le circuit universitaire américain. Quant à Huet, il avait amorcé sa carrière senior en France avant de se diriger vers la Suisse.
Ce qu'espère Tardif, c'est que le hockey français sera en mesure de garder ses espoirs un peu plus longtemps avant de les laisser aller.
« On nous dit parfois qu'il faut aller voir ailleurs. Même si les équipes en Europe commencent à nous regarder d'un autre œil, il faut que tu refasses tes preuves, que tu te remettes en cause. Tandis qu'en France, tu es choyé et tu es avec ta famille. On le voit quand les jeunes partent trop tôt.
« Ils ne partent pas toujours pour les bonnes raisons. C'est pareil pour aller au Canada. S'ils n'ont pas la technique de fond, ils ne joueront pas et ils vont perdre confiance. Il faut être habitué à ça. On leur dit d'attendre. Pierre-Édouard Bellemare a fait son junior en France et même une année senior. On voyait tout son potentiel et on l'a aidé à partir pour une équipe dont nous avions confiance en l'entraîneur. Nos pépites d'or, on veut les accompagner. »
Bellemare est bien conscient de tout ce qu'il représente pour les jeunes hockeyeurs français en étant l'un de leurs deux compatriotes dans la LNH. Compte-t-il jouer un rôle dans le développement du hockey lorsqu'il reviendra dans l'Hexagone?
« Je n'y ai pas encore pensé, même si je sais que ce n'est pas si loin, la fin de ma carrière, a-t-il affirmé. Je n'essaye pas d'être un modèle, mais en étant uniquement deux joueurs français dans la LNH, tu es inévitablement un exemple. Pour la Fédération, nous sommes deux joueurs similaires, qui travaillent dur. On ne reçoit pas de trophées et nous ne sommes pas les joueurs du match, mais on travaille, travaille. C'est ça l'esprit de l'Équipe de France! »