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Par Hugo Fontaine

Bien qu'il ait eu quatre saisons d'expérience dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec - où il a remporté une coupe Memorial - et un peu plus de deux autres derrière la cravate dans la Ligue américaine ai moment de son embauche par les Canadiens en 2003, Claude Julien était tout de même une recrue dans la LNH. C'était cependant tout le contraire lors de son retour en ville en février 2017.

À la suite de son départ de Montréal en janvier 2006 et après un court séjour avec les Devils du New Jersey, c'est avec les Bruins de Boston qu'il s'est véritablement établi comme un des meilleurs entraîneurs du circuit Bettman. Oui, ses expériences comme pilote en chef l'ont grandement aidé au fil du temps, mais il a également pu bénéficier de la présence et des conseils de quelques-uns des plus grands entraîneurs du monde du sport, qui se trouvaient justement dans la capitale du Massachusetts en même temps que lui.

Lui-même grand amateur de sports, le natif d'Orléans, en Ontario, n'allait pas tourner le dos aux Bill Belichick, Terry Francona et Doc Rivers lorsqu'il a eu a la chance de les croiser au cours des presque 10 années passées à la barre des Bruins.

«Ce que j'ai vraiment aimé à Boston, c'est que tous les entraîneurs s'appuyaient les uns et les autres. On sait à quel point on a un métier difficile, que ce soit au hockey, au football, au baseball ou au basketball. On réalise tous qu'il existe une certaine pression avec notre profession. C'est important de pouvoir se supporter, souligne Julien, qui, avec ses 419 victoires avec les Bruins, est encore à ce jour l'entraîneur le plus prolifique de leur histoire.

«Ce qui est vraiment intéressant, c'est que tu apprends beaucoup sur la philosophie de chacun pour bâtir une équipe et sur leur façon de gérer leurs joueurs, les différentes demandes et les règlements.»

Julien a hérité d'une formation composée de quelques vedettes, mais en grande majorité de joueurs un peu moins connus, mais travaillants, ce qui faisait que ses Bruins ressemblaient étrangement à leurs voisins de la banlieue de Foxborough, les Patriots de la Nouvelle-Angleterre.

Ces derniers étaient menés par des joueurs pas nécessairement repêchés au premier tour de leur cuvée respective et la recette du succès qui a été instaurée par Bill Belichick depuis son embauche en 2000 a prouvé à maintes reprises qu'elle était efficace et un modèle à suivre dans la NFL. Leur 15e championnat de section en 18 ans remporté au cours des dernières semaines le démontre bien.

C'est pour cette raison que dès la première fois où ils se sont rencontrés par l'entremise d'un ami commun, peu de temps après l'arrivée de Julien à Boston, ç'a cliqué instantanément entre eux. Contrairement à ce que plusieurs pourraient croire, ces rencontres ont duré de longues minutes.

«J'avais eu des bonnes discussions avec lui sur des choses qui m'ont bien servi au hockey. Bill est une personne vraiment différente de ce qu'on voit lorsqu'il rencontre les médias. Ce n'est pas un gars qui aime divulguer ses secrets. En réalité, c'est une personne très simple et très normale qui aime beaucoup jaser, admet Julien en riant, au sujet de celui qui est reconnu pour ses points de presse plutôt brefs.

«Tu peux avoir de très bons joueurs avec des habiletés incroyables, mais lorsque vient le temps de performer dans un gros match, ils ne sont pas nécessairement capables de produire, poursuit-il. Donc, même si ces joueurs peuvent être attrayants, Bill préfère en avoir un qui l'est peut-être moins, mais qui va performer.»

Ayant lui-même plus de 30 années d'expérience au football professionnel, Belichick a toujours adoré discuter avec son homologue de la Ligue nationale de hockey. Si ces conversations ne portaient pas nécessairement sur les stratégies à utiliser dans différentes situations de jeu, Julien trouvait rafraîchissant de pouvoir échanger avec quelqu'un qui comprenait le milieu dans lequel il évoluait.

«On peut toujours apprendre quelque chose de la part d'autres entraîneurs. Parfois, lorsque tu vas à l'extérieur de ton environnement familier, tu obtiens une perspective complètement nouvelle que tu n'aurais jamais trouvée pour une raison quelconque, confie Belichik, qui détient actuellement cinq bagues du Super Bowl, un record de la NFL. La base du métier d'entraîneur revient à l'enseignement et au leadership et Claude est exceptionnel dans ces deux aspects. Notre équipe en a grandement bénéficié.»

Les Pats ont d'ailleurs bénéficié de la présence de Julien sur les lignes de côté à l'occasion d'une de leurs séances d'entraînements dans les jours précédant la présentation de la Classique hivernale 2016, au Gillette Stadium. Belichick l'avait invité à le suivre durant toute cette journée, où il a pu épier les faits et gestes de Tom Brady et sa bande à l'approche des éliminatoires.

«C'est complètement différent d'un entraînement au hockey. L'équipe est plus grosse et est séparée partout sur le terrain. Les joueurs défensifs pratiquent leurs jeux à un endroit, le quart-arrière est à un autre bout et il pratique ses passes, le botteur est à un autre endroit, se souvient Julien. L'équipe en entier a étudié les stratégies des équipes qu'elles allaient affronter. J'ai suivi Bill partout et j'ai vraiment trouvé ça intéressant. J'ai beaucoup appris de cette expérience.»

Même s'il occupe le troisième rang au chapitre des victoires dans l'histoire de la NFL, Belichick est loin de croire qu'il détient la science infuse. C'est pour cette raison que lorsqu'il a invité son ami à l'entraînement, il voulait vraiment avoir son opinion et ses commentaires sur ce qu'il voyait sur le terrain. Après tout, son titre d'entraîneur de l'année dans la LNH et sa coupe Stanley remportée durant son passage avec les Bruins n'ont pas été le fruit du hasard.

«Claude a contribué à ramener à Boston la première coupe Stanley en plusieurs décennies et ce n'était pas un accident. Si on pouvait améliorer ou peaufiner n'importe quoi dans notre programme, que ce soit au niveau des entraînements, du développement des joueurs, des méthodes d'entraînement ou de n'importe quoi d'autre. Claude est une ressource inestimable, atteste Belichick, qui amorcera sa quête vers un sixième trophée Vince-Lombardi.

«Peu importe le sport, un entraîneur est un enseignant et les entraînements sont les meilleurs moyens pour préparer adéquatement les équipes, renchérit-il. Les observations de Claude durant notre entraînement cette journée-là m'ont donné une perspective différente qui m'a été très profitable.»

Pour le remercier de son invitation, Julien a invité le lendemain le pilote des Pats à venir tester avant tout le monde la patinoire extérieure qui servirait de champ de bataille au duel Bruins-Canadiens. Bien que cela faisait plusieurs années qu'il n'avait pas enfilé de patins - sa dernière expérience sur glace remontait à une partie dans une ligue de garage -, Belichick a savouré cette opportunité unique, même si elle n'était pas des plus « gracieuses ».

«C'était très amusant de patiner avec Claude. Je me sentais comme un enfant qui côtoyait des professionnels. Je suis certain qu'il retenait son souffle durant toute la séance pour que je ne tombe pas devant tout le monde, indique Belichick, qui s'était malheureusement retrouvé les quatre fers en l'air durant cette séance sur glace. Il avait beaucoup de classe et il a été très patient. J'avais besoin de beaucoup d'aide. J'adore patiner, mais j'étais rouillé après plus de 10 ans loin d'une patinoire. Les patins, les gants et le bâton qu'il m'avait donnés cette journée-là sont encore bien en évidence dans mon bureau.»

Alors qu'une heure de route était nécessaire pour se rendre au domicile des Patriots à partir de celui des Bruins, seuls quelques pas étaient nécessaires à Julien pour se rendre au bureau de son homologue des Celtics de Boston, Doc Rivers, puisqu'il était lui aussi installé au TD Garden. Tout comme Julien en 2011, Rivers a lui aussi mis fin à une longue disette en 2008 en menant son équipe à un premier championnat de la NBA en 22 ans.

Quelques mois avant que les Bruins soulèvent la coupe Stanley, Rivers et son équipe ont vécu une situation particulière à la suite du lock-out dans la NBA, alors qu'ils ont dû disputer 66 parties en l'espace de 123 jours. Lorsque son équipe a fait face à un scénario similaire la saison suivante en affrontant un calendrier de 48 matchs échelonnés sur 99 jours, Julien est allé discuter avec son colocataire du Garden pour apprendre comment il avait géré le tout.

«On sait qu'il y avait beaucoup de matchs condensés dans un calendrier d'une demi-saison et celui du basketball est pas mal similaire à celui du hockey. Une fois, il m'avait dit : "Claude, il va falloir que tu fasses un choix : faire pratiquer ton équipe ou reposer tes joueurs". Il fallait que je décide si notre équipe allait être plus avantagée si elle se s'entraînait ou si elle se reposait. C'était ça mon plus gros défi, selon lui. Lui, il avait favorisé les journées de congé et c'est ce que j'ai fait aussi», admet Julien, qui a aussi mené les Bruins jusqu'en grande finale en 2012-2013, avant de s'incliner aux mains des Blackhawks de Chicago en six rencontres.

Aujourd'hui entraîneur-chef des Clippers de Los Angeles, Rivers garde encore un œil de loin sur les performances de Julien. Malgré le fait qu'ils se soient moins vus depuis son départ pour la Californie il y a cinq ans, Rivers s'est senti très privilégié d'avoir pu le côtoyer durant toutes ces années à Boston.

«Je lui demandais souvent son avis. Claude est une personne avec qui c'était très facile de discuter. Cet aspect de sa personnalité se transportait bien lorsqu'on parlait de sports, raconte Rivers, qui occupe le septième rang dans l'histoire de la NBA pour le plus de victoires en séries avec 82 à ce jour.

«On est entraîneurs dans des sports complètement différents, mais au bout du compte, on doit tous les deux composer avec des individus, poursuit-il. Lorsque je parlais à Claude, à Bill (Belichick) ou à Terry (Francona), on parlait plus de relations humaines que de stratégies.»

Comme Belichick et Rivers, Terry Francona est également devenu une légende dans l'univers sportif de Boston en menant les Red Sox à deux titres de la Série mondiale, dont le premier de l'équipe depuis 1918, en 2004. Reconnu comme un des gérants les plus sympathiques et aimés des joueurs du baseball majeur, Francona a su composer avec des personnalités fortes et soutirer le meilleur de ses athlètes au cours de ses 17 années dans l'abri.

Mais comme plusieurs Montréalais, Julien a d'abord entendu parler de lui lorsque ce dernier évoluait pour les Expos au début des années 1980. C'est pourquoi il était non seulement heureux d'apprendre d'un homme possédant une feuille de route aussi impressionnante, mais il y avait un cachet un peu plus spécial dans le fait de rencontrer un joueur de l'équipe favorite de sa jeunesse.

«J'étais un gros fan des Expos quand j'étais jeune et je me souvenais de Terry Francona quand il jouait pour eux. On s'est rencontrés à plusieurs reprises. Autant ses joueurs l'adorent, autant c'est une très bonne personne, témoigne Julien à propos de celui qui a dirigé les Red Sox de 2004 à 2011. On sait que le calendrier au baseball est deux fois plus long que le nôtre, les joueurs arrivent au stade tôt dans l'après-midi et quittent tard le soir. Ce sont de longues journées. C'est pour cette raison que c'était intéressant d'avoir différentes opinions sur comment gérer différents individus.»

Alors que le premier contact entre eux a été effectué en 2007 lorsque Julien avait félicité Francona pour sa deuxième conquête du championnat, l'ancien pilote des Sox lui a retourné l'ascenseur quelques années plus tard pour lui souhaiter bonne chance à l'approche du septième match de la finale de la Coupe Stanley entre les Bruins et les Canucks.

Confessant qu'il n'est pas nécessairement le plus grand mordu de hockey, Francona a tout de même apprécié les échanges qu'il a eus avec Julien au fil du temps. Après avoir entendu autant de bonnes choses à son sujet, l'actuel gérant des Indians de Cleveland a conservé de précieux éléments de leurs rencontres.

«Même si nos sports sont différents, c'est toujours plaisant d'entendre ce qu'ont à dire des gens qui exercent leur métier depuis longtemps et qui ont connu autant de succès. Lorsqu'on parle de cultures gagnantes et d'esprit de compétition, ces éléments s'appliquent à chaque sport, précise Francona, récipiendaire à deux reprises du titre d'entraîneur de l'année dans la Ligue américaine.

«Ça ne changera rien au niveau des victoires ou des défaites, mais ces rencontres sont très agréables parce que je suis moi-même un amateur de sports, rajoute-t-il. Lorsque tu as l'opportunité de faire la connaissance de gens du métier et de les voir à l'œuvre en coulisses, c'est encore plus plaisant de les encourager.»

Julien est le premier à admettre qu'il était un entraîneur différent à son arrivée en ville l'an dernier. C'est certain qu'avec une bague de la coupe Stanley, une médaille d'or olympique et un trophée Jack-Adams en poche, son C.V. était beaucoup plus garni. Mais les différentes rencontres tenues avec ses homologues à Boston lui ont permis d'ajouter plusieurs cordes à son arc qui lui seront utile à Montréal.

Et à écouter celui qui fêtera son 58e anniversaire de naissance au printemps, on comprend qu'il est loin de vouloir arrêter d'approfondir ses connaissances, dans l'espoir de guider les Canadiens vers les grands honneurs.

«Rencontrer toutes ces personnes m'a définitivement rendu meilleur, autant comme individu que comme entraîneur. Tu veux toujours t'améliorer et apprendre. Si un entraîneur dit qu'il connaît tout, il devrait prendre sa retraite», conclut Julien.