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Carey Price, le gardien comptant le plus de victoires dans l’histoire des Canadiens de Montréal, a presque assurément disputé le dernier match de sa carrière de 15 ans dans la LNH, une blessure au genou l’ayant empêché de continuer à jouer après la saison 2021-22. Le 11 novembre à Toronto, LNH.com a passé six heures en compagnie de Price pour un entretien exclusif portant sur sa carrière et sa vie après le hockey qui sera rapporté en deux parties. La première partie a été publiée dimanche.

TORONTO – Le regard de Carey Price semblait perdu dans le lointain, alors qu’il se tenait sous les projecteurs du Centre Bell lors de l’interprétation du « Star-Spangled Banner », puis de l’« Ô Canada ».

Il ne s’agissait pas que du 82e match de la saison 2021-22 des Canadiens de Montréal, qui savaient déjà qu’ils rater les séries éliminatoires de la Coupe Stanley.

Cette scène s’est produite le 29 avril 2022, et Price s’apprêtait à disputer un cinquième et dernier match cette saison-là. Et le gardien savait, alors qu’il se préparait à affronter les Panthers de la Floride en cette soirée d’appréciation des partisans, qu’il était fort possible qu’il ne rejoue plus jamais par la suite.

Les Canadiens portaient un écusson avec le numéro « 10 » sur leur chandail en hommage à Guy Lafleur, la légende de l’équipe qui était décédée sept jours plus tôt. Le fait que Montréal inscrive 10 buts ce soir-là dans une victoire de 10-2 semblait presque surréel.

Price s’est battu toute la saison afin de se remettre d’une opération au genou subie à New York au cours de l’été précédent. Un simple nettoyage d’un ménisque endommagé a révélé quelque chose de beaucoup plus sérieux : le cartilage, qui absorbe les chocs dans l’articulation du genou, était presque totalement disparu, et les os de l’articulation frottaient l’un contre l’autre.

Avec son masque toujours vierge à ses débuts dans la LNH, Carey Price défend le filet des Canadiens de Montréal contre l’attaquant des Penguins Evgeni Malkin, avec l’aide du défenseur Mike Komisarek, le 10 octobre 2007 à Pittsburgh.

Le natif d’Anahim Lake, en Colombie-Britannique, envisageait toujours une intervention pendant la saison morte visant à transplanter du cartilage lorsque les hymnes nationaux ont été entonnés ce soir-là. Il a finalement choisi de ne pas s’y soumettre, puisqu’il allait avoir 35 ans, que sa carrière tirait à sa fin, et que les possibles complications liées à cette opération auraient pu avoir un impact sur sa vie après le hockey.

« Je me suis préparé pour cette journée comme si j’allais disputer mon dernier match, a reconnu Price. Je n’en étais pas persuadé à 100 pour cent à ce moment-là, je tentais encore d’évaluer mes options au sujet d’une autre intervention. Mais toute la journée, je me suis préparé comme si c’était la fin.

« J’ai tenté de m’imprégner de tout cette journée-là, comme si c’était mon dernier match. Je tentais de remarquer tous les détails pendant la journée. Ma routine, les bruits, la scène… J’ai pris des notes mentales sur tout ce qui se passait pendant la journée. »

Price a apporté son équipement chez lui à Kelowna, en Colombie-Britannique, lors de l’été qui a suivi, et il a tenté de patiner pour jauger sa condition physique.

« Je voulais voir comment mon genou allait se comporter après lui avoir accordé une pause, a expliqué Price. Il en était au même point. »

Carey Price se prépare à rencontrer des centaines de partisans qui font la queue pour obtenir son autographe au cours d’une apparition à l’Exposition de cartes sportives de Toronto le 11 novembre 2023.

Son lien avec l’équipe est demeuré intact au cours de la saison 2022-23, alors que Price interagissait régulièrement dans le groupe de discussion des joueurs des Canadiens.

Cependant, lorsqu’il s’est présenté au tournoi de golf caritatif de l’équipe il y a deux mois, Price a observé la salle de réception, avec des tables occupées par des joueurs actifs et d’autres par les anciens, sans savoir où il devait aller. Il a finalement choisi de s’asseoir avec les entraîneurs.

« Je me suis dit que cette année, il était temps pour moi de quitter le groupe de discussion, a-t-il noté. Je continue toutefois de parler à quelques joueurs. Je parle avec (le gardien) Jake (Allen) assez souvent pour voir comment il va. Je demeure en contact avec plusieurs d’entre eux, je prends de leurs nouvelles. »

Price a assisté au match d’ouverture locale 2023-24 de l’équipe, et le Centre Bell s’est animé lorsqu’il est apparu sur l’écran géant. Une ovation bien sentie ainsi que les cris « Car-ey! Car-ey! » ont fait vibrer l’amphithéâtre.

« Ç’a fait chaud au cœur », a-t-il admis après une courte pause, le temps de gérer ces émotions encore très vives. « Je ne sais pas s’il y a quelque chose qui se compare à ça. Ça fait chaud au cœur, et c’est bon pour le moral. »

Price avait discrètement chaussé les patins cinq mois plus tôt. Il s’agit de la dernière fois où il est sauté sur la glace. Il l’a fait au complexe d’entraînement de l’équipe à Brossard, alors que le gardien des Canadiens Samuel Montembeault se dirigeait vers le Championnat du monde de la FIHG en Europe au mois de mai.

Carey Price signe un bâton de gardien au cours d’une séance d’autographes le 11 novembre 2023 à l’Exposition de cartes sportives de Toronto.

« Sam se préparait pour le Championnat du monde, et il n’y avait personne en ville, a raconté Price. La saison était terminée depuis quelques semaines. Sam n’avait personne pour tirer sur lui, alors moi et Paul Byron (l’attaquant des Canadiens qui allait annoncer sa retraite quatre mois plus tard) ont sorti les patins pour décocher des tirs sur le cerbère québécois et l’aider à se préparer.

« D’un jour à l’autre, je ne sens pas vraiment mon genou. Mais je viens de grimper les escaliers de l’hôtel… et il me dérange, je le sens, ça arrive de temps à autres. Il y a de la douleur. Je sais que les joueurs de hockey composent tout le temps avec la douleur. Cependant, j’en étais à un point où mon genou était tellement enflé que je ne pouvais pas bien m’acquitter de ma tâche sur la glace.

« Je crois que c’est en partie lié à toutes les torsions qu’imposent le métier de gardien sur les genoux. Les torsions, les contorsions… je me dis parfois que si j’avais été un attaquant, j’aurais peut-être été en mesure de jouer un peu plus longtemps, mais ce n’est simplement pas le cas. »

Price et son épouse, Angela, ont mis leur maison en banlieue de Montréal à vendre, mais ont finalement choisi de la louer à un joueur de l’édition actuelle des Canadiens.

« Il avait emménagé depuis quelques jours lorsque notre courtier nous a appelés, parce que le chauffe-eau avait brisé, a-t-il lancé en riant. Je me sentais plutôt mal. C’est le genre de choses qui font partie des joies d’être propriétaire. »

Michael Corsetti, âgé de 7 ans, se fait photographier avec Carey Price au cours de son participation à l’Exposition de cartes sportives de Toronto le 11 novembre 2023.

Les matchs à domicile des Canadiens commencent à 16 h, heure du Pacifique, ce qui fait que Price ne les regarde pas très souvent, puisqu’il est souvent en train de souper en famille. Le clan Price mange tôt, car Price dit à la blague qu’il sert de chauffeur Uber pour ses enfants, autant pour l’école que pour leurs activités. Ses filles Liv, 7 ans, et Millie, 5 ans, pratiquent toutes deux la gymnastique. Il a aussi un fils de 3 ans, Lincoln.

« Je suis ce que fait le Tricolore, mais je ne regarde presque jamais la télévision. Les enfants en prennent le contrôle le soir, a souligné Price. Je me suis toutefois abonné à un forfait télévisuel de sports pour la première fois depuis longtemps.

« Je me concentre surtout sur ma famille et ma santé. Je suis vraiment heureux d’être présent pour mes enfants. Ce fut un vrai privilège de les voir grandir. Avec Liv, j’étais souvent parti durant son enfance. Même chose avec Millie. Mais avec Lincoln, j’ai pu être là depuis le début. »

À une occasion au cours de l’entrevue à son hôtel, et une autre fois au cours de sa séance d’autographes, Price a répondu à un appel téléphonique de ses enfants.

« Je m’ennuie de bien des choses de l’époque où je jouais, a-t-il mentionné, mais être assis seul dans une chambre d’hôtel n’en fait pas partie.

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« Je vais retourner à Montréal peut-être deux ou trois fois par saison. Il y a toujours des occasions qui se présentent pour que j’y aille plus souvent, mais avec trois enfants de cet âge, c’est difficile de juste prendre mes affaires et partir. Je suis venu ici pour une seule journée, et malgré ça, je m’ennuyais déjà d’eux hier dans ma chambre, même si avions fait un FaceTime. »

Price affirme qu’il va chérir pour toujours le parcours des Canadiens jusqu’en finale de la Coupe Stanley en 2021, la première présence de l’équipe en finale depuis son championnat de 1993.

« C’était un beau parcours, a-t-il dit. Quand j’étais à Hamilton (en 2007), nous avons gagné la Coupe. L’équipe n’était pas haute au classement, mais elle est allée jusqu’au bout. Notre chemin vers la finale de la Coupe avait de similarités du début jusqu’à la fin. »

Mais le gardien avec le plus de victoires de l’histoire des Canadiens savait aussi que de terminer à trois victoires du titre allait possiblement être le plus près qu’il allait s’approcher de mettre la main sur la Coupe Stanley.

« Tu es presque en état de choc à la fin, et émotionnellement, tu es détruit, a-t-il expliqué. Tu ne fais que penser à tous les efforts qui ont été investis. »

Price a pris une profonde respiration avant d’ajouter : « La vie continue et je suis reconnaissant pour les souvenirs de ce parcours, mais nous étions si près. À ce moment, tout ce que tu te dis, c’est que c’est vraiment frustrant. La Coupe Stanley, c’est l’objectif que tu tentes d’atteindre durant toute ta vie, et de passer si près, c’est tellement démoralisant. »

Aucun des centaines de partisans qui ont fait la queue pour rencontrer Price à la Sport Card Expo lors de ce samedi après-midi ne lui a rappelé cette défaite. Pendant plus de trois heures, que ce soit lors d’une séance de photos et d’autographes privée à l’International Centre ou encore lors de la séance de dédicace publique qui a suivi, il a signé chandails, bâtons, masques, rondelles, photos et affiches pour les 400 personnes qui se sont présentées. Plusieurs ont même scandé son nom à son arrivée.

Et plus tard dans la journée, c’est un partisan pratiquement en pleurs qui a pu prendre une photo avec Price alors qu’il cassait la croute dans en restaurant peu de temps avant de prendre la route de l’aéroport.

Mais la veille, après son arrivée à Toronto, ce n’était pas de regarder du hockey qui l’intéressait. Il faisait plutôt le tour de YouTube afin de trouver une vidéo qui lui expliquerait comment réparer son tracteur à gazon, qui, selon lui, a un problème avec un joint d'étanchéité.

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« J’ai toujours été bon pour me concentrer sur mon travail quand j’étais sur la glace. Maintenant, ma concentration est sur la réparation de mon John Deere, a-t-il lancé en riant. Quand je suis concentré sur quelque chose, je le suis vraiment. C’est ce qui m’a permis de devenir un très bon joueur de hockey. J’ai toujours été fixé sur mes objectifs. S’il y a une tâche à accomplir, je vais tout faire pour y parvenir jusqu’à ce que je réussisse. »

Un jour à la fois, le jeune retraité met sa carrière en perspective, tout dépendant quel souvenir lui vient à l’esprit. Il a gardé son équipement ainsi que ses masques favoris, dont celui de son année recrue en 2007 ainsi que celui qu’il avait sur la tête lorsque les Canadiens ont atteint la finale de la Coupe Stanley.

« Avant tout, je suis tout simplement reconnaissant d’avoir eu la chance de jouer à ce sport à ce niveau, a affirmé Price. Je pense avoir appris que je suis très résilient. J’ai passé la moitié de ma vie à Montréal. C’est là que j’ai grandi. Cette ville sera toujours très importante pour moi.

« Quand j’y repense, pour un jeune d’Anahim Lake, la LNH, c’est vraiment loin. Je me sens vraiment chanceux d’avoir pu connaître une carrière et du succès pendant 15 ans. Si je pouvais tout recommencer, je le ferais.

« Comme tous les vétérans avec qui j’ai joué m’ont dit, ça passe tellement rapidement. Mais quand tu es dedans, tu n’y penses pas. Surtout moi. Je me suis toujours concentré sur le moment et ce que je devais faire.

« Jamais au cours de ma carrière je n’ai pensé à sa finalité. J’aurais aimé m’en imprégner un peu plus en cours de route. »