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RIMOUSKI, Québec - Doris Labonté se souvient précisément de la première fois qu'il a vu Sidney Crosby à l'œuvre de ses propres yeux. Il voulait être bien certain que le jeune homme de Cole Harbour, en Nouvelle-Écosse, avait la trempe d'un premier choix au total dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ).

Alors directeur général de l'Océanic de Rimouski en 2002-03, l'homme de hockey s'est rendu à Calgary « incognito » pour épier celui qui était déjà qualifié de prodige tandis qu'il s'alignait avec Shattuck St. Mary's.
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« Il y avait des doutes parce qu'il n'était pas le plus imposant, et au Québec, le gros espoir était Guillaume Latendresse, a relaté Labonté. Quand je l'ai vu jouer là-bas, j'ai tout de suite contacté le propriétaire Jacques Tanguay.
« C'était clair pour moi. Après avoir vu les Vincent Lecavalier et Brad Richards faire courir les foules, il n'y avait aucun doute que Crosby était le prochain. Je lui ai dit que c'est lui que ça prenait. »
Il ne s'était pas trompé.
Quelques mois plus tard - et après avoir conclu au dernier rang de la LHJMQ et de la Ligue canadienne de hockey (LCH) - l'Océanic sélectionnait Crosby avec le premier choix au total, mettant la table pour deux saisons folles qui ont culminé avec la conquête de la Coupe du Président et une défaite en finale du tournoi de la Coupe Memorial.
Ce sont bien sûr ces deux saisons, ces 120 buts et 183 passes en 121 rencontres, que l'Océanic célèbrera quand l'organisation retirera son numéro 87, vendredi, mais surtout la personne loyale et l'ambassadeur sans égal qu'est devenu Crosby pour la ville de Rimouski.
« Il a assurément eu un impact colossal sur la région, mais ça transcende Rimouski, ça va jusqu'aux confins de la Ligue », a lancé l'entraîneur actuel de l'équipe, Serge Beausoleil. « Partout où il allait, il attirait les foules. S'il fallait que Doris ne l'habille pas un soir donné, il y avait presque une émeute. »
C'est une image, bien sûr, mais ce n'est quand même pas bien loin de la vérité. Le Colisée de Rimouski affichait complet presque chaque soir de match et les équipes adverses avaient de beaux problèmes entre les mains chaque fois que la formation du bas du fleuve débarquait.

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De beaux problèmes parce que la présence de Crosby dans l'enceinte assurait un succès aux guichets, mais il leur fallait faire des pieds et des mains pour permettre au plus grand nombre possible d'amateurs de s'entasser dans l'aréna.
Ce fut encore pire à sa deuxième saison - son année d'admissibilité au Repêchage de la LNH - en raison du lock-out dans le circuit Bettman. Les amateurs de hockey voulaient quelque chose à se mettre sous la dent.
« La demande était beaucoup trop grande pour ce qu'on était en mesure d'offrir », se souvient Alain Danault, qui était alors directeur du marketing et annonceur-maison des Tigres de Victoriaville. « On avait fait imprimer des billets pour des chaises pliantes qu'on avait installées autour de la patinoire.
« Aussitôt qu'on l'annonçait, tout était vendu dans l'heure. C'était extraordinaire. Je crois même que ce n'était pas tout à fait légal de mettre les chaises là, mais c'était exceptionnel. On en a profité à Victoriaville comme toutes les autres équipes. C'était une petite mine d'or. »
Labonté, qui a pris la relève de Donald Dufresne derrière le banc en 2004-05, venait à peine de vivre les années de Vincent Lecavalier à la fin de la décennie 1990 et la conquête de la Coupe Memorial avec Brad Richards en 2000, mais il n'avait jamais vu un engouement aussi marqué pour un joueur.
« C'était très hostile, mais c'était motivant, a rappelé le pilote. On savait que l'équipe locale allait en mettre beaucoup plus. Partout où on allait, c'était tel joueur contre Crosby et on attendait de voir qui allait avoir le dessus. Les gens payaient plus cher pour le voir, mais ils se liguaient contre lui rendu au match. »
Encore possible?
Presque 15 ans après le dernier match de Crosby au niveau junior, les choses ont beaucoup changé et on se demande si l'on pourra revivre une frénésie aussi importante envers un joueur.
Prenez Alexis Lafrenière, par exemple. Il pourrait être le premier Québécois repêché au tout premier rang du Repêchage de la LNH depuis Marc-André Fleury en 2003. Il connaît du succès, il est poli, sage et toujours sympathique avec les médias. Mais il est loin d'attirer les foules autant que Crosby.
« Les époques sont différentes, constate Labonté. Ça se peut qu'un autre crée autant d'engouement, mais il n'est pas là présentement. Lafrenière est bon, il suscite de l'intérêt, mais ce n'est pas le même punch. […] Ça prendrait tout un phénomène pour égaler ce qu'on a vécu avec Sidney. »
Les amateurs s'intéressent à Lafrenière, on le sent dans les médias et sur les réseaux sociaux surtout, mais ça ne se traduit pas nécessairement aux guichets comme à l'époque de Crosby.

Alexis Lafreniere 2020 draft

« Il ne faut jamais dire que ça ne se reproduira pas parce qu'en 50 ans, nous avons eu de grandes vedettes qui ont attiré de très bonnes foules », a fait valoir le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau. « De Guy Lafleur à Crosby en passant par Mario Lemieux.
« Dans le cas de Crosby, il y a eu un impact extraordinaire notamment parce que c'était son année d'admissibilité au Repêchage et qu'il n'y avait pas de hockey de la LNH. Nous étions la seule et unique ligue de hockey au Québec, donc ç'a donné le résultat qu'on connaît au niveau des assistances. »
Le jeune no 11 n'est pas encore à ce niveau, mais peut-être que ça viendra. Et d'ici quelques années, les amateurs risquent de devoir payer le gros prix pour le voir évoluer.