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La toute nouvelle Association mondiale de hockey venait de frapper fort à deux reprises, et elle tentait maintenant de réaliser le tour du chapeau le plus spectaculaire de tous les temps.

Mais en ce mois de juillet 1973, Jean Béliveau a choisi de passer son tour après avoir reçu l’offre de l’AMH.

Le futur membre du Temple de la renommée Bobby Hull avait déjà décidé de faire le saut des Black Hawks de Chicago aux Jets de Winnipeg en juin 1972. Le spectaculaire ailier gauche a donné une crédibilité instantanée à l’AMH lorsqu’il a signé un contrat comme joueur et pour ses services d’une durée de 10 ans, qui allait valoir, avec les contrats de publicité, une somme estimée de 3 millions $.

Gordie Howe avait quant à lui mis un terme à une magnifique carrière de 25 ans avec les Red Wings de Detroit en 1971, et le Temple de la renommée avait décidé de laisser tomber la période d’attente habituelle de trois ans afin de l’introniser.

Mais les Aeros de Houston de l’AMH lui ont fait signe en juin 1973, et M. Hockey a été heureux d’accepter l’offre, tout comme le reste de sa famille.

Howe a accepté l’offre de 1 million $ des Aeros, et les fils de la légende, Marty et Mark, ont aussi joint l’équipe, pour un salaire moindre. Une des plus grandes vedettes de l’histoire du hockey allait faire équipe avec ses fils.

L’arrivée de Hull et de Howe représentait un coup de marketing phénoménal. Les Nordiques de Québec espéraient faire de même avec Béliveau.

Tout comme Howe, Béliveau avait pris sa retraite de la LNH en 1971 après avoir remporté sa 10e et dernière Coupe Stanley comme joueur. Les portes du Temple se sont aussi ouvertes pour lui en 1972.

Mais au cours de sa carrière, que ce soit dans les rangs juniors, seniors avec les As de Québec ou encore dans la LNH avec les Canadiens, avec qui il a évolué de 1953 à 1971, Béliveau a toujours été guidé par une valeur : la loyauté envers les gens qui sont importants dans sa vie.

Il a donc écouté l’offre du président des Nordiques Paul Racine, qu’il connaissait depuis ses années juniors. On lui offrait 1 million $ s’il disputait la prochaine saison, et encore plus s’il acceptait de passer les trois années suivantes au sein de la direction de l’équipe. Une rencontre a même eu lieu dans un hôtel de l’aéroport de Montréal entre Béliveau, Racine et Jacques Plante, le légendaire gardien et ancien coéquipier de Béliveau qui était maintenant le directeur général des Nordiques.

Beliveau Howe Hull

Gordie Howe (à gauche) et Jean Béliveau au Forum de Montréal avant le match des étoiles de la LNH dans les années 1950, et Béliveau avec Bobby Hull des Black Hawks de Chicago après la victoire 4-0 des Canadiens lors du septième match de la finale de la Coupe Stanley en 1965.

Le lendemain, dans un communiqué envoyé aux médias, Béliveau a indiqué qu’il refusait la généreuse offre des Nordiques pour trois raisons :  à l’âge de 42 ans, il ne se croyait pas capable de jouer à la hauteur de ce qu’il avait offert dans le passé; il était heureux de pouvoir enfin rattraper le temps perdu avec sa famille; et il était bien dans son poste avec les Canadiens à titre de vice-président et directeur des affaires sociales.

« Après avoir discuté avec M. Racine aujourd’hui, je sens que nous sommes aussi amis que nous l’avons toujours été, avait affirmé Béliveau. Nous sommes amis depuis mes années dans le junior. Sa réaction lorsque je lui ai donné ma réponse? Il m’a dit que s’il pouvait m’aider dans l’avenir, peu importe le domaine, il sera heureux de le faire.

« L’offre de Québec était généreuse et intéressante. J’imagine que pour amasser le même salaire chez les Canadiens, je vais avoir besoin de cinq, 10 ans de plus. Mais à long terme, mon avenir est meilleur avec les Canadiens. »

Béliveau allait demeurer dans la direction de l’équipe jusqu’à sa retraite le 31 août 1993, jour de son 62e anniversaire. Son nom s’est ajouté à la Coupe Stanley sept fois de plus, dont la conquête de 1993, la plus récente du Tricolore.

Les Nordiques auraient bien aimé mettre sous contrat une autre vedette des Canadiens qui avait été aussi brillante lors de ses années juniors à Québec, mais Guy Lafleur était un intouchable, lui qui avait paraphé un contrat de trois ans dès son arrivée dans la LNH, en 1971.

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Jean Béliveau dans la réplique du vestiaire des Canadiens de Montréal au Temple de la renommée du hockey en 1993.

« Peu importe ce que vous allez offrir, je ne vais pas recommencer à jouer », avait écrit Béliveau dans son autobiographie de 1994 ‘Ma vie bleu-blanc-rouge’ au sujet de ce qu’il avait répondu aux Nordiques.

« 10 ou 20 millions $, ce n’est pas important. Je ne peux plus jouer au niveau que je voudrais. Si je le pouvais, et que je désirais encore jouer, ce serait avec les Canadiens. Ce ne serait pas juste pour [les Nordiques], les amateurs ou moi. Je n’en suis plus capable, et je suis le premier à le reconnaître. »

Plante comprenait peut-être mieux que quiconque le psychisme d'un joueur fier. Il allait faire un retour pour une saison de plus avec les Oilers d’Edmonton dans l’AMH en 1974-75, « mais il était un gardien, pas un patineur, et ses habiletés n’avaient pas diminué », avait dit Béliveau.
 
« Tu dois te demander si tu aides tes coéquipiers, si tu produis sur la glace, ou si tu aides simplement les propriétaires parce que ton nom est sur la marquise. Si vous êtes satisfaits de jouer ce genre de hockey – marquer 15 buts et vous convaincre que vous avez bien rebondi cette saison – c’est votre choix et vous devez vivre avec. »

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Gordie Howe en action avec les Whalers de Hartford pendant sa dernière saison dans la LNH en 1979-80. Avec lui, au Forum de Montréal, à partir de la gauche : le gardien John Garrett, Al Sims et Tim Sheehy.

Certes, Howe avait été construit à partir d’alliages qui n’avaient peut-être même pas encore été inventés. Il allait jouer six saisons avec Houston et les Whalers de la Nouvelle-Angleterre dans l’AMH, puis une autre campagne avec les Whalers de Hartford avant d’annoncer sa retraite pour une deuxième fois au terme de la saison 1979-80 à l’âge de 52 ans.
 
La paie était très bonne, sans aucun doute. Mais M. Hockey aurait bien pu demeurer avec les Red Wings dans un poste au sein de l'équipe de direction s’il s’était senti désiré.
 
Mécontent des rôles presque subalternes qu’on lui a offerts au cours de sa brève retraite, Howe n’a pas été difficile à convaincre quand les Aeros l’ont approché.
 
« Ils étaient prêts à payer ce que je pensais mériter, et mon nom et ma réputation font partie de ce que je suis », a dit Howe aux journalistes durant une conférence de presse pour annoncer sa mise sous contrat avec Houston le 19 juin 1973.
 
« J’ai parlé avec Ned [Harkness, le DG des Red Wings] l’autre jour et il a mentionné qu’il aurait aimé connaître mes sentiments. Il aurait démissionné de son poste de DG pour être mon adjoint. Du moins, c’est ce qu’il a dit. »

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Gordie Howe avec ses fils Mark (à gauche) et Marty en conversation avec les journalistes au Forum de Montréal, alors que les trois ont signé un contrat avec les Aeros de Houston de l’AMH en 1973.

« J’ai simplement dit à Ned que je n’étais pas d’accord avec sa façon de voir les choses. Ce n’est pas un crime, mais je ne contribuais pas beaucoup – ou je n’apprenais pas beaucoup – et le sentiment que quelques personnes ne me voulaient pas vraiment dans ces fonctions a commencé à prendre de l’ampleur. Alors je ne peux pas être hypocrite. La chose à faire, selon moi, était de partir. Alors me voici. »
 
Le président de la LNH Clarence Campbell, dont l'arrivée dans la Ligue avait coïncidé avec celle de Howe en 1946, a exprimé sa déception face au départ de la super vedette vers la ligue rivale et à une anxiété qui s’est avérée inutile.
 
« J'espère que Gordie ne subira pas le sort des autres qui ont joué trop longtemps, a mentionné Campbell. Ça me rendrait malade s’il devait être accueilli par des huées plutôt que des applaudissements. Je serais navré de le voir dans cette position. »
 
L’amitié Howe-Béliveau, l’un des liens les plus forts de l’histoire du hockey, a perduré même si leurs chemins ont pris des directions différentes en 1973.
 
L’icône des Canadiens a respecté le départ de Howe vers l’AMH, souhaitant bonne chance à son rival.
 
« Gordie et moi aurions pu nous affronter à nouveau, a-t-il dit. Mais je n’ai pas deux fils qui jouent pour Québec! »