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La LNH et Canards Illimités Canada s'associent pour raconter l'histoire de joueurs actuels et anciens de la LNH, et expliquer comment l'accès aux patinoires extérieures communautaires et au plein air a contribué à façonner leur amour pour le sport. Aujourd’hui, pour le deuxième épisode de cette série d’articles, le parcours d'Alex Faulkner, le premier joueur de l'histoire de Terre-Neuve-et-Labrador à avoir atteint la LNH.

Si Alex Faulkner pouvait remonter quelque 75 ans en arrière et qu’il tendait l’oreille attentivement, il pourrait presque entendre le vent siffler sur la rivière Exploits, tout près de l’endroit où il a grandi, dans la minuscule ville de Bishop’s Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador.

C’est sur cette rivière qui zigzague au centre de la province la plus à l’est du Canada que Faulkner a disputé une quantité innombrable de matchs dans son enfance, vers la fin des années 1940 et au début des années 1950. Entre six et une trentaine de jeunes aux joues rosies pourchassaient la rondelle sur cette surface glacée à longueur de journée.

Jamais Faulkner n’avait imaginé à l’époque où il s’infligeait des engelures à force de jouer dehors qu’il allait devenir le premier joueur natif de Terre-Neuve-et-Labrador à atteindre la LNH. Il a disputé une rencontre avec les Maple Leafs de Toronto avant d’en ajouter 100 autres avec les Red Wings de Detroit entre 1962 et 1964.

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Alex Faulkner, avec deux de ses quatre frères et des membres de l’équipe de leur école secondaire en 1946-47.

« Nous jouions toute la journée sans entraîneurs ou sans vraiment disputer de match. Nous nous arrangions simplement entre nous », a raconté Faulkner.

Lui et Doris, son épouse des 61 dernières années, habitent dans une résidence pour personnes âgées à Grand Falls-Windsor, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de sa ville natale de Bishop’s Falls.

Vingt-neuf natifs de Terre-Neuve-et-Labrador lui ont succédé et ont disputé au moins un match dans la LNH. Trois d’entre eux ont soulevé la Coupe Stanley — Daniel Cleary avec les Red Wings en 2008, Michael Ryder avec les Bruins de Boston en 2011, et Alex Newhook avec l’Avalanche du Colorado en 2022.

Faulkner, aujourd’hui âgé de 88 ans, occupe une place unique dans l’histoire du hockey à titre de premier joueur de la province à avoir atteint la LNH. Sur une note plus familiale, son frère aîné George, 91 ans, est devenu le premier joueur de Terre-Neuve-et-Labrador à signer un contrat de hockey professionnel. Il a évolué pendant quatre saisons avec les Cataractes de Shawinigan Falls, propriété des Canadiens de Montréal, dans la Ligue sénior du Québec entre 1954 et 1958.

Le parcours d’Alex Faulkner est une magnifique histoire canadienne, alors qu’il était un jeune prodige de 22 ans qui a été remarqué presque par accident alors qu’il dominait la Ligue sénior de Terre-Neuve avec les CeeBees de Conception Bay à Harbour Grace. Lui et George avaient fondé l’équipe avec le propriétaire Frank Moores, qui allait devenir premier ministre de la province.

Dix ans plus tôt, Faulkner et ses quatre frères passaient la majorité de leur temps sur la rivière Exploits, mais pas avant que leur père ne leur en donne la permission.

Les garçons jouaient aussi sur la glace du Diamond Pond, un petit étang de Bishop’s Falls, une ville d’environ 2500 âmes fondée en 1909 afin de desservir une usine de pâte et papier et une centrale hydroélectrique. Le fief a grandi de manière modeste dans les années 1920, devenant un centre de services pour la Newfoundland Railway Company et son légendaire train de passagers, le Caribou, surnommé le « Newfie Bullet ».

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Alex Faulkner qui évolue à Detroit en compagnie de Bobby Hull des Black Hawks de Chicago dans une photo qui date du début des années 1960, et Faulkner en compagnie de son épouse, Doris, en 2023.

Faulkner avance, selon ses souvenirs, que l’étang était d’une superficie équivalente au double d’une patinoire de hockey, et qu’il n’était profond que de trois ou quatre pieds au maximum.

« C’est là que nous allions jouer pendant environ six ou huit semaines au début de l’hiver, avant que notre père nous permette d’aller jouer sur la rivière », a expliqué Faulkner

Des traîneaux tirés par des chevaux qui transportaient du bois pour le feu traversaient la rivière Exploits, et ce n’est que lorsque ces traîneaux faisaient leur apparition que Lester Faulkner, un ingénieur du chemin de fer, donnait le feu vert à ses fils d’aller patiner sur cette surface, bien plus grande que celle de l’étang.

Avec leurs amis, ils aimaient surtout organiser des parties improvisées sous l’iconique pont du chemin de fer de Bishop’s Falls, une traversée historique d’une distance de près de 1000 pieds, ce qui en fait le plus long pont de ce genre au Canada à l’est du Québec. Il n’est plus utilisé par les trains de nos jours, mais ce pont bâti en 1901 sert pour les promenades et les véhicules tout-terrain.

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Alex Faulkner et le gardien Don Simmons au cours d’un entraînement de 1961-62 au Maple Leaf Gardens.

À l’époque, les garçons ont remarqué qu’une petite surface sous le pont semble être presque complètement déneigée de manière naturelle, ce qui leur permettait de jouer presque sans arrêt.

« Nous passions beaucoup de temps sous le pont, puisque nous n’avions pas besoin de pelleter souvent », s’est remémoré Faulkner.

Les jeunes joueurs étaient à la fois infatigables et pleins de ressources. Avec des haches, ils perçaient des trous dans la glace le vendredi soir et y plongeaient des seaux afin de recueillir de l’eau et ainsi arroser leur patinoire de manière primitive. Le samedi matin à 7 heures, ils bénéficiaient d’une glace presque aussi belle que celle d’un aréna pour y disputer leur match de la journée.

« Tout le monde maniait très bien la rondelle à l’époque », a noté Faulkner, lui-même un fantastique manieur de rondelle. « Sinon, nous n’aurions jamais pu conserver la rondelle en jouant à 15 contre 15. »

Si Faulkner n’a jamais été vraiment incommodé par le froid glacial, certains de ses jeunes frères se sont remémoré leur retour à la maison à la fin de la journée, qui consistait à patiner sur une distance d’environ 800 mètres contre le vent.

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De gauche à droite: Kent Douglas, Don Simmons et Eddie Shack de Toronto et Alex Faulkner de Detroit en pleine action en 1963 au Maple Leaf Gardens.

À l’extérieur de la glace, le hockey occupait tout de même une grande place dans la maison des Faulkner. La famille se réunissait autour du poêle le samedi afin d’écouter Foster Hewitt décrire les matchs des Maple Leafs à la radio dans le cadre de « Hockey Night in Canada ».

Dès son jeune âge, Alex Faulkner est devenu un grand partisan de Toronto – même s’il n’y a pas un joueur en particulier qui l’a marqué, il aimait l’équipe en entier.

En 1958, après avoir joué pendant quatre ans pour Shawinigan, sans jamais parvenir à percer la puissante formation des Canadiens, au cœur d’une dynastie à la fin des années 1950, George a été embauché par la ville de Harbour Grace afin d’agir à titre de directeur des loisirs de la ville. Lui et Alex ont immédiatement mis sur pied une équipe sénior qui évoluait au nouveau complexe Conception Bay. George évoluait à la ligne bleue en plus d’être l’entraîneur, tandis qu’Alex se moquait de leurs adversaires en attaque.

La vie d’Alex allait bientôt changer, puisque King Clancy, qui était le directeur général adjoint des Maple Leafs, a fait une visite au Conception Bay sur l’invitation de l’ancien attaquant et entraîneur de Toronto Howie Meeker, qui s’était établi dans la région et qui dirigeait une autre équipe sénior.

Faulkner a dominé la ligue en 1958-59, inscrivant 103 buts et 49 passes en 25 matchs. Clancy a été impressionné par ce qu’il avait vu, et il a invité le rapide joueur de centre à un entraînement de saison régulière en 1960.

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Alex Faulkner dans une photo des Maple Leafs de Toronto en 1961-62, et sur la glace du Maple Leaf Gardens avec le gardien Don Simmons et l’entraîneur et DG de Toronto Punch Imlach.

Passant d'un match à Harbour Grace le samedi soir au centre-ville de Toronto le lundi, Faulkner était sur le point d’écrire une page d’histoire de la LNH. Il est arrivé au Maple Leaf Gardens, et son anxiété a été apaisée lorsque la première personne qu’il a rencontrée dans le fameux aréna était un garde de sécurité ayant le même surnom que lui.

« Aucun lien, mais pour une raison quelconque, ça m’a calmé les nerfs », s’est souvenu Faulkner.

Le voilà qu’il s’entraînait avec des joueurs qu’il connaissait seulement par le biais de la radio ou d'articles dans les journaux.

L’entraîneur et DG des Maple Leafs Punch Imlach a aimé ce qu’il a vu, notamment lorsque Faulkner a contourné à quelques reprises le défenseur étoile Tim Horton. Il a donc dit au nouveau venu qu’il avait le potentiel de jouer dans la LNH, ce qui nécessitait de prendre de l’expérience dans les rangs mineurs.

Faulkner a été assigné à Rochester, l’équipe affiliée des Maple Leafs dans la Ligue américaine de hockey.

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Alex Faulkner dans un uniforme des Red Wings de Detroit, et un article du Toronto Star à propos de la performance clé de Faulkner dans le match no 3 de la finale de la Coupe Stanley de 1963 contre les Maple Leafs de Toronto.

Puis est venu l’appel d’Imlach le 6 décembre 1961, la formation de la LNH étant ravagée par les blessures. Faulkner et le gardien Don Simmons ont été rappelés en vue du match du 7 décembre au Forum de Montréal, un sanctuaire de hockey qui était situé à quelque 2000 kilomètres à l’ouest de Bishop’s Fall, mais qui paraissait se trouver à un système solaire de distance.

Faulkner n’a fait que deux présences sur la patinoire dans ce qui allait être son seul match avec les Maple Leafs, mais il est passé à l’histoire dans la défaite de 4-1 de son équipe en devenant le premier joueur de sa province à atteindre la LNH.

Imlach l’a louangé à un journaliste de la Presse canadienne en soutenant qu’il avait été le meilleur « joueur de banc » qu’il n’avait jamais eu.

« Il a crié tout au long du match, a lancé Imlach. Au départ, nous n’arrivions même pas à le comprendre, mais nous avons fini par saisir. Il faisait des signes et criait “Allô, Terre-Neuve!” à la caméra de télévision. »

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À partir de la gauche : Bruce MacGregor de Detroit, Allan Stanley de Toronto et Tim Horton, Alex Faulkner de Detroit et le gardien de Toronto Johnny Bower pendant un match de 1962 au Maple Leaf Gardens.

Avec leur excellente profondeur et une conquête de la Coupe Stanley – la première de trois consécutives – les Maple Leafs n’ont pas protégé Faulkner en vue du repêchage intraligue de 1962 et il a été réclamé par les Red Wings.

Mais il n’y a pas eu d’amertume. Encore à ce jour, Faulkner est profondément reconnaissant pour l’accueil qu’il a reçu et la gentillesse démontrée par les Maple Leafs, des joueurs vedettes jusqu’au préparateur physique Bob Haggart, à Toronto et ensuite à Detroit.

Il a joué 70 matchs avec les Red Wings en 1962-63, puis 30 autres la saison suivante, inscrivant respectivement 20 points (10 buts, 10 passes) et 12 points (cinq buts, sept passes).

Mais si la performance de Faulkner en séries éliminatoires en 1963 a ravi Detroit, elle a totalement ébahi Terre-Neuve-et-Labrador.

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Un article du Windsor Star rapportant l’exploit d’Alex Faulkner dans le match no 3 de la finale de la Coupe Stanley entre ses Red Wings de Detroit et les éventuels champions, les Maple Leafs de Toronto.

Le centre de 5 pieds 8 pouces et 165 livres a marqué trois fois en six matchs pendant la demi-finale contre Chicago, son deuxième but gagnant de cette série éliminant les Black Hawks le 7 avril, puis il a ajouté deux autres buts dans une série perdue en cinq rencontres aux mains de Toronto en finale – il a marqué un autre but gagnant le 14 avril.

« Les succès d’Alex sont incroyables », a dit Meeker après la performance de deux buts de Faulkner dans le match no 3 contre Toronto, une victoire de 3-2 des Red Wings. « Il est passé de la pire ligue de hockey au monde à la meilleure en deux ans et demi, et il a marqué le but gagnant dans trois matchs des séries éliminatoires de la Coupe Stanley. C’est presque impossible.

« Ils vont danser dans les rues de Terre-Neuve ce soir. Alex est aux partisans là-bas ce que Babe Ruth était au baseball. »

Encerclé par des journalistes et des sympathisants pour une entrevue au reportage télévisuel de « Hockey Night in Canada » animé par Ward Cornell et Frank Selke Jr ainsi que Bobby Hull et Pierre Pilote de Chicago, Faulkner a remercié Toronto de lui avoir ouvert la voie vers la LNH. Hull et Pilote l’ont choisi à titre de première étoile ce soir-là.

« Soyons francs, je ne pourrai jamais remercier suffisamment King Clancy de m’avoir offert une chance dans le hockey professionnel », a-t-il déclaré.

Le fait que Detroit n’a pas été en mesure de triompher n’a en rien dérangé les partisans de Faulkner à la maison. Marié depuis un mois avec Doris Reid, il a été accueilli en héros le 27 mai, le premier ministre Joey Smallwood fermant presque la province en entier pour une réception civique en l'honneur de « l'ambassadeur de bonne volonté », laquelle fut suivie d'un dîner privé et d'une danse.

La célébration a commencé en grand avec un défilé de berlines décapotables réunissant 1000 voitures, alors que des milliers d’écoliers les saluaient le long de la route, les écoles ayant été fermées pour la journée.

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Alex Faulkner et sa femme, Doris, dans une voiture décapotable pendant la parade organisée pour son retour à la maison en mai 1963.

Faulkner a joué une autre saison dans la LNH, mais une déchirure des ligaments de la cheville, suivie d’une fracture à une main, a mis fin à sa carrière dans la grande ligue. Il est ensuite retourné jouer au niveau sénior à Terre-Neuve-et-Labrador, puis a évolué avec Memphis dans la ligue Central Pro et avec San Diego dans la Ligue de hockey de l’Ouest, avant de faire un dernier tour de piste dans le sénior à la maison.

En plus de jouer au hockey pour les anciens jusqu'à 70 ans, Faulkner a travaillé dans le secteur des assurances et a également géré une maison de retraite et un établissement de soins pour personnes âgées à Bishop's Falls.

En 2009, son cher ami et ancien coéquipier des Red Wings Gordie Howe est venu en visite à l’est pour être honoré par la ville. C’était plutôt discret, jusqu’à ce que « M. Hockey » arrive au terrain de camping de Beothuck Family Park à Grand Falls-Windsor et demande un bâton pour se joindre à une partie de hockey-balle avec des jeunes.

Howe et Faulkner ont plaisanté à propos de plusieurs choses lors de cette visite. Ils ont probablement même parlé en riant du rôle de Faulkner sur le 545e but historique de Howe, lequel lui a permis de devancer Maurice Richard à titre de meilleur buteur de tous les temps à l’époque.

C’est survenu en infériorité numérique le 10 novembre 1963, au Olympia Stadium contre les Canadiens, alors que Faulkner purgeait une pénalité majeure pour bâton élevé après avoir marqué plus tôt dans la rencontre pour Detroit.

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La légende des Red Wings de Detroit Gordie Howe avec son ancien coéquipier Alex Faulkner, la femme de ce dernier, Doris, et le petit-fils de Howe, Travis, pendant une visite de M. Hockey en 2009 à Terre-Neuve-et-Labrador.

« L’arbitre a dit que j’avais coupé Ralph Backstrom au point où il a eu besoin de points de suture, mais mon bâton ne l’a jamais touché, a dit Faulkner en riant. Je pense que Ralph s’est mordu la lèvre. »

Howe est demeuré le roi des marqueurs de la LNH pendant plus de 30 ans, jusqu’à ce que Wayne Gretzky le surpasse avec un 802e but le 23 mars 1994.

Aujourd’hui, plus de 60 ans après son dernier match dans la LNH, Faulkner considère que l’ensemble de son œuvre au hockey – et les racines de sa carrière – est lié aux séances de patin sur de petites glaces extérieures et sur une rivière lui ayant ouvert la voie vers la plus grande scène du hockey.

« Jouer dehors représentait tout, a-t-il dit. C’était la seule place qu’on avait pour jouer. Nous jouions parce que nous aimions ce sport. Ça n’a jamais effleuré mon esprit que je me rendrais jusqu’à la LNH. »

Mais c’est ce qu’il a fait. De Diamond Pond et de la rivière Exploits, sur une glace pure et naturelle, Alex Faulkner a marqué l'histoire du hockey qui est célébrée encore aujourd'hui à Terre-Neuve-et-Labrador et bien au-delà.

« La vie, c’est de la chance et du travail acharné, a-t-il dit. La mienne a été empreinte par les deux. »

Photo principale : La carte recrue Parkhurst d’Alex Faulkner avec les Red Wings de Detroit en 1963, et un article du Moncton Transcript de son retour à la maison en 1963 à la suite de son parcours remarquable en séries éliminatoires de la Coupe Stanley.