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La liste d'exploits et de records de la LNH de Maurice Richard est aussi longue que les bâtons à palette droite dont il s'est servi pendant 18 fructueuses saisons, maniés autant comme un bistouri que comme une massue, en route vers une place au Temple de la renommée du hockey parmi les immortels du sport.

Né il y a 100 ans le 4 août, le fougueux ailier droit des Canadiens de Montréal demeure, à certains égards, le visage des meilleures éditions de l'équipe montréalaise, capitaine du Tricolore pendant quatre de ses cinq triomphes consécutifs de la Coupe Stanley, de 1956 jusqu'à sa retraite en 1960.
Au moment du centenaire de sa naissance, plus de deux décennies après son décès à la suite d'une bataille contre un cancer de l'abdomen en mai 2000 à l'âge de 78 ans, le « Rocket » -- surnommé ainsi par son coéquipier des années 1940 Ray Getliffe en raison de sa vitesse explosive -- continue à transcender le hockey dans sa ville natale de Montréal et au Québec.
Six décennies après sa retraite, l'héritage de Richard et son impact sur le jeu et sur la société québécoise continuent d'être étudiés par les amateurs de hockey et par les universitaires.
Depuis le jour où il a enfilé le chandail bleu-blanc-rouge pour la première fois en 1942, Richard a été l'un des attaquants les plus redoutables de sa génération, mais il a toujours insisté pour dire qu'il « n'était qu'un hockeyeur ».
Mais chez les Franco-canadiens, et dans la province qui s'est réclamée de lui et qui s'est identifiée à lui pendant une période d'incertitude politique, Richard a été beaucoup plus qu'un buteur talentueux et l'étincelle qui propulsait son équipe.
Premier joueur de la LNH à atteindre la barre des 500 buts, les prouesses offensives de Richard sont célébrées aujourd'hui avec le trophée Maurice « Rocket » Richard, remis annuellement depuis 1998-99 au meilleur buteur de la LNH en saison régulière. Richard aurait remporté ce prix à cinq reprises, mais jamais le trophée Art-Ross, remis au champion pointeur dans la LNH.
Le « Rocket » a été le premier à inscrire 50 buts dans une saison, réalisant l'exploit au cours de la saison 1944-45 de 50 matchs. Au moment de sa retraite, il détenait les records de la LNH pour les buts (544) et les points (965), avant de les voir être ultimement battus par son légendaire rival des Red Wings de Detroit, Gordie Howe.
Richard a mis la main sur le trophée Hart en 1946-47 comme joueur le plus utile de la LNH, son seul trophée individuel en carrière, même s'il a été finaliste au Hart six fois.

Terrorisant les gardiens autant avec son regard ardent qu'avec sa touche redoutable en territoire offensif, Richard a été un bélier qui a littéralement transporté certains de ses adversaires sur son dos en route vers le filet.
Le romancier américain William Faulkner, écrivant pour « Sports Illustrated » en 1995, a suggéré que Richard possédait « une qualité étrangère, passionnée et fatale, semblable à celle du serpent ».
La même année, le romancier canadien Hugh MacLennan a décrit l'intensité de Richard dans un article pour le « Saturday Night Magazine ».
« Chaque grand joueur doit s'attendre à faire face à une défense hermétique, mais pendant 10 années, le Rocket était régulièrement harcelé par les entraîneurs adverses, qui savaient intuitivement que personne n'est plus facile à faire sortir de ses gonds qu'un génie. Richard peut très bien supporter tout le jeu physique qui fait partie du hockey, mais après une soirée où des hommes de loin inférieurs à lui ont passé leur temps à le faire trébucher, à le cingler, à le retenir, à lui donner de la bande et à l'insulter, il a tendance à perdre les pédales. Sa rage est curieusement impersonnelle, c'est une explosion envers la frustration elle-même. »
En effet, le fort tempérament de Richard était aussi reconnu que son talent, un élément dont plusieurs adversaires ont profité au maximum.
Le journaliste sportif Trent Frayne, dans un article dans les années 1950, a lancé que le logo sur le chandail de Richard ressemblait plus à une cible qu'à un C et un H.
« Richard marquait des buts de tous les angles et de n'importe où. Il marquait parfois alors qu'il était couché sur le dos, alors qu'au moins un défenseur retenait son bâton, qu'un autre lui donnant des coups de bâtons sur les chevilles et qu'un troisième retenait son chandail. »

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Personne ne s'est davantage approché de l'aura de Richard, et de toutes les qualités qui ont fait de lui une légende, que Jean Béliveau, qui allait façonner son propre chemin derrière les traces que Richard avait laissées en remportant la Coupe Stanley huit fois.
Béliveau, qui est arrivé à Montréal en 1953 et devenu le meilleur capitaine de l'histoire de l'équipe pendant les années 1960, a été témoin de l'importance que Richard a eue chez les Canadiens et pour ceux qui suivaient l'équipe religieusement.
« Les Canadiens ont peut-être été gérés par Frank Selke, mais ils ont été vraiment l'équipe de Joseph Henri Maurice Richard, a écrit Béliveau dans Ma vie bleu-blanc-rouge, son autobiographie de 1994. Le Rocket a été le cœur et âme des Canadiens, une inspiration pour nous tous, certainement pour les jeunes Franco-canadiens qui gravissaient les échelons. Il était homme et mythe, plus vrai que nature dans certains aspects, mais extraordinairement humain dans d'autres.
« Le moment où il a apporté ses contributions, des années de la guerre jusqu'à 1960, ont coïncidé avec la période où une vague de changements déferlait sur le Québec, qui tentait de se dissocier de plus de 300 ans d'histoire.
« Comme joueurs, pourtant, nous avons regardé Maurice en termes plus simples et immédiats. Il représentait quelque chose qui avait une influence sur plusieurs de ses coéquipiers, quelque chose qui nous mènerait à cinq championnats consécutifs à la fin de la décennie. Tout simplement, Maurice Richard haïssait perdre de tout son être. »

La vie remarquable de Richard a été célébrée avec des funérailles nationales -- une première au Québec pour une personne qui n'était liée à la politique -- qui ont été télédiffusées partout au Canada. Son importance pour hockey n'a constitué qu'une partie des commémorations, le « Rocket » étant beaucoup plus important qu'un simple hockeyeur, comme il souhaitait être reconnu.
« Maurice Richard sera pour toujours l'homme qui symbolisait et personnifiait la tradition pure de hockey, a commenté le premier ministre canadien à l'époque, Jean Chrétien. Ce que les partisans adoraient en lui, c'était son intensité extraordinaire. Il jouait avec beaucoup d'émotion et de flair et recherchait la victoire avec une détermination sans égale. Il symbolisait les qualités du véritable champion. »
Un siècle après sa naissance, 60 ans après son intronisation au Temple de la renommée, le « Rocket » demeure un modèle, autant mythe que réalité. Nulle part ailleurs a-t-il été plus aimé que dans sa ville natale, où il a illuminé le Forum et le paysage du hockey comme personne avant lui, et qui n'a jamais été égalé depuis.