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PITTSBURGH - C'est devenu un rituel. À toutes les années le 9 juin, toujours au même moment de la journée, Raymond Bourque sait qui l'appelle quand la sonnerie du téléphone retentit.
C'est Shjon Podein, un ancien coéquipier, qui souhaite uniquement lui rappeler qu'une autre année s'est écoulée depuis qu'ils ont gagné la Coupe Stanley ensemble, en 2001.
Jeudi marque le 15e anniversaire d'une conquête pas comme les autres dans la LNH : celle de l'Avalanche du Colorado, mais surtout celle de Raymond Bourque.

« Il n'y a pas un 9 juin qui passe sans que je ne repense pas à 2001 », évoque l'ancien défenseur vedette dans un entretien téléphonique avec LNH.com. « C'est également la date de ma retraite. Shjon Podein ne saute pas une année. Il m'appelle toujours à peu près à la même heure. Il a été un de mes coéquipiers les plus estimés, un des plus grands gars d'équipe que j'ai côtoyés. »
Au printemps de 2001, les amateurs de hockey de toute allégeance et de partout ou presque retenaient leur souffle en entretenant l'espoir de voir Bourque soulever la Coupe Stanley à bout de bras, à sa 22e - et dernière - saison dans la LNH.

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Souvenirs impérissables
Quinze ans plus tard, Bourque conserve des souvenirs indélébiles de la fabuleuse soirée, mais également de l'épopée que l'Avalanche a connue en séries éliminatoires de la Coupe Stanley, particulièrement quand la situation s'est corsée en Finale contre les Devils du New Jersey.
« J'ai craint que ce soit la fin quand les Devils ont pris les devants 3-2 dans la série, relate-t-il. C'étaient les champions en titre de la Coupe Stanley et nous allions jouer le match no 6 au New Jersey, sans Peter Forsberg (opéré pour l'ablation de la rate). »
Bourque, auteur du but victorieux dans le troisième duel de la série, avait fait venir au New Jersey ses amis proches et les membres de sa famille.
Au cas où ce serait son chant du cygne en carrière.
« J'étais confiant, mais on ne sait jamais. J'étais très émotif en pensant que c'était peut-être ma dernière séance d'entraînement avec l'équipe, mon dernier repas avec mes coéquipiers, la dernière fois pour tout. »
Un an plus tôt, les Bruins de Boston, l'unique équipe pour laquelle Bourque avait évolué dans la LNH, l'avaient cédé à l'Avalanche à la date limite des transactions afin de lui procurer une chance de gagner la Coupe.
L'Avalanche a subi l'élimination en 2000 contre les Stars de Dallas en finale de l'Association de l'Ouest, en sept matchs. Les séries de 2001 représentaient donc son dernier espoir de réussite.
Au lendemain du cinquième match qui acculait l'Avalanche au mur, Bourque a tenu un discours inspirant à ses coéquipiers au cours d'une réunion d'équipe.
« Les gars étaient abattus. J'attendais qu'un d'entre eux prenne la parole, mais il y avait un silence de mort », relate Bob Hartley, l'entraîneur de l'Avalanche à l'époque. « Raymond, la larme à l'œil, a brièvement parlé essentiellement pour dire qu'il lui restait un match ou deux à jouer avant la retraite et ce qu'il voulait c'est de gagner la Coupe. Je n'avais rien eu à ajouter. Les gars étaient repartis 'crinqués'. »
Tous unis pour la cause, ils ont relevé le défi au New Jersey en provoquant l'égalité dans la série grâce à une brillante victoire de 4-0.
« On doit une fière chandelle à Patrick Roy qui a tout arrêté au cours des 10 premières minutes de jeu », rappelle Bourque.

RayBourque_2001StanleyCup

Au retour de la série au Colorado pour l'ultime rencontre, le capitaine Joe Sakic planchait déjà sur un scénario de remise de la Coupe à Bourque.
« Joe était énervé. Il courait partout dans l'avion lors du vol de retour, confie Bourque. Il tenait à élaborer une mise en scène. Il est venu me voir pour me demander : 'On fait quoi avec la Coupe?' Je lui ai dit : 'Jouons d'abord le match et on verra ensuite'. »
Sakic avait déjà en tête qu'il passerait la Coupe à Bourque. L'Avalanche a pris les moyens afin de mettre en œuvre son plan en signant un autre gain sans appel de 3-1 dans le match no 7, le 9 juin 2001.
« En avant par trois buts pendant la rencontre, c'était plus fort que moi. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser, 'Cr…ça n'a pas de bon sens, on va gagner la Coupe'. Et là, je me ressaisissais en me disant ce que les psychologues sportifs nous répétaient : 'Reste dans le moment Raymond'.
« Au cours des dernières minutes, j'avais de la difficulté à respirer. Je pensais que j'allais perdre conscience, lance-t-il. Dès que je revenais au banc, on me renvoyait sur la glace. On voulait que j'y sois jusqu'à la fin. »

La passe parfaite
La scène de la remise de la Coupe de Sakic à Bourque demeure un des moments marquants de l'histoire des séries.
« Joe Sakic a fait de sublimes passes pendant sa carrière, mais jamais une aussi formidable que celle-là, image Bob Hartley. C'est une des plus belles passes de l'histoire de la ligue. »
« Sans contredit ma plus facile », ajoute Sakic.
Sakic était tellement pressé de remettre le trophée à Bourque en le recevant du commissaire de la LNH Gary Bettman que Bettman a dû tirer dessus afin de lui rappeler qu'on devait auparavant prendre une photo pour la postérité.
« Le geste que Joe a posé montre toute sa grande classe », affirme Bourque.
Quand Bourque a brandi la Coupe, les partisans hurlaient de joie et l'émotion était à son comble au Pepsi Center de Denver ainsi que dans plusieurs foyers à travers l'Amérique du Nord.
« Sur place, c'était magique. Tout le monde avait les yeux dans l'eau, se remémore Hartley. Avec les années, je suis plus émotif quand je revois les images. J'ai davantage le 'motton'. C'est un des plus beaux moments de ma carrière. J'ai été privilégié de le vivre. »
« Ce que j'ai dit au moment où j'avais la Coupe, ça ne se répète pas publiquement », confie Bourque, le plus sérieusement du monde.
C'était une phrase du genre : « Je l'ai enfin gagnée cette Coupe-là », entrecoupée de quelques jurons.
Un cri du cœur libérateur de la frustration refoulée de plusieurs échecs en séries et du poids public qu'il portait de ne jamais avoir gagné le sacre ultime malgré une formidable carrière de 1612 matchs en saison régulière et de 214 autres en séries.
« C'est dur en 'maudit' de gagner ce trophée-là », dit celui qui avait participé à deux autres Finales dans l'uniforme des Bruins. « Il y a quatre rondes à gagner, des blessures et plusieurs autres facteurs. »
Parlez-en à Joe Thornton et à Patrick Marleau des Sharks de San Jose qui sont si près et si loin en même temps cette année. Les deux vétérans se retrouvent à un match de l'élimination en Finale contre les Penguins de Pittsburgh, qui tirent de l'avant 3-1 dans la série et pourront gagner la Coupe dès jeudi dans le match no 5 (20h HE; TVA Sports, CBC, NBC).
Thornton et Marleau ont disputé 1367 et 1411 matchs respectivement en saison régulière, en plus de 154 et 169 en séries.
À l'opposé, Phil Kessel des Penguins pourrait se considérer chanceux s'il met la main sur la Coupe pour la première fois, à l'âge de 28 ans seulement, avec un bagage de 750 matchs en saison régulière.
« Dans mon cas, la Coupe c'était tout ce qu'il me restait à obtenir, résume Bourque. Les gens disaient : 'Raymond Bourque a connu toute une carrière, mais il n'a pas gagné la Coupe'. Ça me brûlait par en-dedans d'entendre ça. Comme ça me brûle d'entendre que des joueurs de la trempe des Brad Park, Jean Ratelle, Marcel Dionne et Thornton n'ont jamais gagné la Coupe. C'est une affaire d'équipe le hockey, pas un sport individuel.
« Quand on a gagné, ç'a été un énorme soulagement pour moi. Pas juste ça, j'ai pu ressentir ce qu'était la véritable sensation d'être un champion. »