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Dans son plus récent livre La série du siècle : telle que je l'ai vécue, le légendaire gardien Ken Dryden se remémore les émotions qu'il avait vécues lors de la Série du siècle de 1972, un duel émotif de huit matchs entre les joueurs canadiens de la LNH et l'équipe nationale de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

Il raconte, entre autres, le choc vécu lorsque l'Union soviétique a remporté un gain surprenant de 7-3 lors du premier match de la série, le 2 septembre à Montréal, et l'émotive victoire de 6-5 lors du huitième et ultime duel. La série a non seulement opposé deux styles de hockey pendant un mois, mais deux idéologies politiques.
Dryden, qui est devenu avocat, enseignant, politicien et auteur après avoir remporté six Coupes Stanley avec les Canadiens de Montréal, s'est récemment entretenu avec LNH.com afin de discuter de son livre, de la Série du siècle et de l'impact qu'a encore cet événement 50 ans plus tard.
Tu avais disputé 47 matchs de saison et de séries éliminatoires au Forum de Montréal avant de sauter sur la glace pour le premier match de la Série du siècle, le 2 septembre 1972. Tu écris que « cette soirée était différente » et qu'il y avait de l'électricité dans l'air au Forum. À quel point ce premier match était-il différent des autres parties que tu avais jouées avec les Canadiens?
« Le Forum, c'était un endroit qui était déjà très différent des autres arénas (de la LNH). Je commence le livre en disant que la série était comme un bruit assourdissant. Au forum, l'énergie était tellement forte que l'endroit est devenu de plus en plus bruyant, et lorsque tu pensais que la foule ne pourrait pas crier plus fort, elle le faisait. Le Forum, c'est un aréna qui était déjà très bruyant et rempli d'énergie en séries, mais lorsque j'ai réalisé que c'était encore plus fort que ça, je n'étais pas certain de ce que ça voulait dire et comment réagir. Ça faisait partie de l'expérience que nous avons vécue en 1972, alors que tout était nouveau. Même les choses qui sont habituellement familières ne l'étaient plus, et rien ne nous a semblé familier dans cette série. »
À peine quelques heures après la défaite du premier match, vous étiez dans un avion afin de vous rendre à Toronto, où allait avoir lieu la rencontre suivante. À travers le Canada, c'était la panique, mais à l'époque, il n'y avait pas d'Internet, de chaînes de télévision consacrées au sport ou encore de lignes ouvertes à la radio. De l'intérieur, est-ce que vous aviez l'impression que rien ne s'était passé? L'équipe a remporté le deuxième match 4-1 avec Tony Esposito devant le filet.
« On aurait vraiment aimé qu'il n'y ait aucune preuve de l'existence [du premier match]. Peut-être que ce n'était qu'un mauvais rêve. Les équipes et les entraîneurs excellent lorsque vient le temps de s'adapter. Dès que le match se termine, si tu as perdu, tu ne penses qu'à ce que tu as fait de négatif, jamais à ce qui a fonctionné. Tu te sens de la sorte pendant une heure ou deux. Puis, avant d'aller te coucher, tu commences à penser à ce qui s'en vient. Puis, au réveil, tu es déjà prêt à disputer le prochain match, tu ne penses plus à celui qui vient de passer. Tu dois rapidement chasser le désespoir pour te concentrer sur la suite et être optimiste. »

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Le Canada s'est incliné 5-3 lors du match no 4, disputé à Vancouver, et tirait maintenant de l'arrière 1-2-1 dans la série. Phil Esposito a donné une entrevue émotive au terme de la rencontre lors de laquelle il a martelé que les joueurs canadiens avaient à cœur le dénouement de la série. Est-ce que cette entrevue a eu un effet sur tes coéquipiers et toi?
« Les gens disent que ç'a été un point de ralliement pour les (joueurs), mais la vérité, c'est que ce n'est pas vrai. Ce n'est pas en raison de l'interview de Phil. Peut-être que l'entrevue de Phil répondait aux gens à travers le pays qui pensaient que nous étions en surpoids, en mauvaise forme physique, trop payés et, le pire, que ce n'était pas important à nos yeux. Pourtant, ce l'était tellement. Ce sport a été important pour nous toute notre vie, et soudainement, à ce moment, les gens disaient que nous avions tant d'argent que la victoire était secondaire. Le visage de Phil, la sueur qui coulait, ses yeux qui étaient lourds et la passion dans sa voix ont fait que le public a vu et entendu cette passion, et il a compris le message que c'était crucial pour nous. »

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Vous n'aviez pas d'entraîneur des gardiens dans le temps et pas de ressources capables de vous aider si le besoin s'en faisait sentir.
« C'est vrai. En 1972, tu vivais dans le moment et ta manière de réagir allait être gage de succès ou non. Tu n'avais pas d'entraîneur des gardiens? On s'en fout. Tu n'avais pas de psychologiste? On s'en fout. C'était à toi de trouver les réponses. C'était comme ça en 1972. Notre équipement n'était pas immense et nous n'avions pas de masque qui nous protégeait beaucoup. On s'en foutait. Nous avions une série à jouer. Nous avions une série que nous devions gagner. C'est ce que nous avons vécu. Ce n'était pas une question de ce qu'il manquait, mais plutôt de ce qu'on vivait. C'est ce que j'ai tenté de faire avec mon livre. Je voulais que le lecteur se sente comme dans le temps, dans le moment. Sinon, ce ne sont que des histoires des guerres et nous les avons toutes déjà entendues.
Aurais-tu accepté de travailler avec un psychologue sportif avant ou durant la série si on te l'avait offert?
« Je ne sais pas. Je n'ai jamais travaillé avec un psychologue du sport, et il faudrait que ce soit quelqu'un qui est vraiment vraiment vraiment bon et en qui je peux avoir grandement confiance. Nous avons appris à être notre propre psychologue. C'était à nous de trouver notre voie, et nous y sommes parvenus. Ça nous avait permis de ressentir beaucoup de fierté. Comme je le dis à la fin du livre, nous nous sommes accrochés. C'est une chose qui est très difficile à faire quand tout semble en train de s'écrouler. Quand tu trouves un moyen de persévérer, tout est possible. »

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Tu écris dans ton livre que tu aurais trouvé ça incroyable de pouvoir regarder la série et être avec les partisans. Il y a une photo dans le livre où on voit des douzaines de personnes regarder le match no 8 à travers la fenêtre d'un magasin vendant des télévisions. Aurais-tu aimé assister à cette série uniquement comme spectateur?
« La seule chose que je regrette de cette série, c'est que je n'étais pas à la maison aussi. Je suis un amateur de sports. J'imagine très bien comment je me serais senti. Ça aurait été 27 jours avec d'incroyables hauts et bas, et une suite d'événements qui étaient impossibles à anticiper. C'était génial pour tout le monde. C'est une série que tu ne pouvais pas regarder seul. Tu la regardais en groupe, avec la famille, au bureau et en classes. C'est ainsi que les gens ont vécu ça. Le match no 8 se déroulait durant le jour, quand les gens sont au travail ou en classe. Sur une population de 22 millions de Canadiens, 16 millions l'ont regardé. C'est fou! »
La situation politique actuelle fait que les membres de l'équipe soviétique de 1972 ne viendront pas au Canada afin de participer aux diverses célébrations du 50e anniversaire de la série. Est-ce que ça aurait été spécial de vous rencontrer à nouveau afin de partager des histoires?
« Nous ne pouvons pas vraiment partager des histoires en raison de la barrière de la langue, mais il y a quelque chose de différent quand nous sommes réunis. Nous avons partagé une expérience, et nous n'avons qu'à regarder l'autre personne pour comprendre ce qu'il a vécu, et qu'il a vécu ce que j'ai vécu. Nous sommes passés à travers quelque chose qui représentait énormément à l'époque et encore aujourd'hui. Nous savons reconnaître un adversaire qui t'a forcé à être à ton mieux, qui t'a offert un défi immense et qui t'a fait découvrir des choses à propos de toi. Parfois, il y a des choses qui ne sont pas nécessairement agréables à découvrir chez soi et d'autres qui sont incroyables à découvrir, et c'est ce qu'un adversaire redoutable te permet de faire. Ce n'est pas comme ça avec un adversaire de routine. C'est pour cela que tu n'oublies jamais les matchs contre un adversaire de cette qualité. C'est ce que les Russes ont été pour nous et ce que nous représentons pour eux. »