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Le 26 mai 1995 au matin, un vendredi, j'ai dû me rendre très tôt sur la colline Parlementaire au coeur de Québec parce que j'avais une entrevue de planifiée avec un réseau de télévision anglophone, je ne sais plus trop lequel. La journée s'annonçait ensoleillée, mais la Grande Allée était complètement déserte. On aurait pu croire qu'elle s'était figée dans le temps, si ce n'avait été que du léger vent qui balayait les derniers relents du printemps.

Ce n'était de toute évidence pas un lendemain de veille comme les autres. Je me souviens de m'être dit que la mythique artère ne serait plus jamais animée comme avant. Puis, je suis entré dans l'édifice de la Tribune de la presse et j'ai pris place pour l'entretien qui a été mené de Montréal ou de Toronto, je ne sais plus trop.

Ce que je sais, c'est d'avoir raconté à mes interlocuteurs que le soleil s'était levé à l'est, comme à l'accoutumée, et que Québec avait laissé partir ses Nordiques dans la quasi-indifférence et l'abdication, pas dans l'incandescence et la rébellion.

Je me souviens qu'on avait paru surpris et déçu de mes propos, comme si on s'attendait à ce que je témoigne d'une ville mise à feu et à sang, en proie à la désolation en raison de la perte de son équipe de hockey.

C'était à des années-lumière d'être le portrait réel. L'annonce du départ des Nordiques vers le Colorado, moins de 24 heures plus tôt, n'avait été que l'attestation d'une mort annoncée ou la fin d'une lente agonie.

On l'avait vu venir de loin, la grande faucheuse. Certains, parmi les plus irréductibles partisans, ont cru à un miracle jusqu'au dernier moment, mais ce n'était pas le cas de la grande majorité.

C'est que les négociations entre le copropriétaire et président Marcel Aubut et les gouvernements municipal et provincial s'étaient embourbées dans un cul-de-sac depuis plusieurs mois. La résignation avait petit à petit gagné la population. On s'était fait une raison. Cette désaffection m'avait laissé perplexe.

Vingt-cinq ans plus tard, l'image de la Grande Allée morne et silencieuse me revient inlassablement à l'esprit en repensant à la perte des Nordiques.

Tout le reste est flou : les derniers matchs de l'équipe en séries éliminatoires, les journées précédant le départ, même le déroulement de la conférence de presse. Ce n'est même pas que les souvenirs ont été érodés par le temps, c'était déjà brumeux après un an. Alors, imaginez après 25 ans. C'est comme si le cortex cérébral de mon cerveau avait activé un mécanisme d'autodéfense afin d'atténuer le douloureux souvenir. J'ai tout bloqué.

Il faut dire qu'au printemps 1995, j'avais d'autres préoccupations en tête, comme la naissance d'un premier enfant, ainsi que les préparatifs avec mon employeur, La Presse Canadienne, de l'éventuel transfert de la petite famille à Montréal.

Ce n'était donc pas la grande déprime, même si je voyais mon rêve d'être collé à une équipe de la LNH s'envoler en fumée. Comme j'ai toujours été du genre à voir le verre à moitié plein, je me disais que j'avais été choyé d'avoir pu le vivre à fond pendant cinq ans. J'étais prêt à entreprendre une nouvelle étape de ma vie à l'âge de 30 ans, même si je l'envisageais moins palpitante sur le plan professionnel, du moins pendant quelques années.

Quand, le 26 juillet, mon fils Marc-Olivier s'est pointé le bout du nez et qu'on l'a déposé dans mes bras, j'ai compris qu'il n'y avait pas juste le hockey dans la vie.

Je l'ai compris encore plus quand, quelques semaines plus tard, un de mes collègues sur le « beat » des Nordiques a perdu la vie de façon tragique dans un accident d'automobile.

Et, une autre fois, quand Rosalie est venue s'ajouter à la famille à peine 13 mois plus tard!

Vingt-cinq ans après leur départ, les Nordiques me manquent. Ils me manquent depuis ce matin du 26 mai 1995, vous l'avez compris. Les Nordiques nous manquent à tous, même aux partisans des Canadiens de Montréal qui aimaient les haïr. On dit qu'il n'y a rien comme perdre quelque chose pour en apprécier la valeur. Avec le recul, on mesure pleinement le vide que la perte a laissé.

Mais, comme il y a 25 ans, le destin me rappelle plutôt cruellement, ainsi qu'à nous tous, qu'il n'y a pas que le hockey dans la vie.

Cela dit, il y a un monde de différences entre : « pas que le hockey dans la vie » et « pas de hockey du tout dans la vie ». On a tous bien hâte que ça recommence et qu'un semblant de vie normale reprenne son cours. D'ici là, continuez de prendre bien soin de vous.