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BOSTON, Massachusetts – Les secondes s’écoulent dans la finale de la Coupe du monde de hockey 2016 entre les favoris d’Équipe Canada et les négligés d’Équipe Europe. La marque est égale 1-1 et on semble se diriger vers une prolongation que personne n’anticipait.

Drew Doughty est au banc de punition, Équipe Canada évoluant à court d’un homme.

Jonathan Toews descend sur le flanc droit avec la rondelle, Jay Bouwmeester suit derrière. Alors qu’il traverse la ligne bleue, un autre joueur saute par-dessus la bande. Toews et Bouwmeester se croisent au haut du cercle et le joueur qui vient de sauter dans la mêlée arrive en renfort, juste à temps pour une petite passe arrière de Toews.

Brad Marchand est prêt. Un lancer, un but en infériorité numérique, le chaos.

Avec 43,1 secondes à jouer en temps réglementaire, Marchand saute dans les bras du défenseur Alex Pietrangelo. Son but vient de faire gagner le Canada et de rendre hystérique la foule du Air Canada Centre à Toronto.

C’est ce moment, et ce tournoi, qui a envoyé Marchand dans la stratosphère.

« Quand j’ai participé à la Coupe du monde, j’ai vraiment réalisé ce qui expliquait en majeure partie pourquoi les meilleurs joueurs sont les meilleurs joueurs. Oui, il y a les habiletés, mais il y a surtout l’état d’esprit, a dit Marchand. Ils savent qu’ils sont les meilleurs. Ils arrivent chaque soir et ils savent qu’ils vont contrôler le match. Ils contrôlent les rondelles dans des endroits où d’autres gars ne peuvent le faire.

« Après avoir joué à leurs côtés, je savais que je pouvais atteindre ce niveau. C’est là que ma mentalité a changé. Par la suite, je sautais sur la glace et je sentais – et je lançais le message aux entraîneurs et aux joueurs des autres équipes – que personne ne pouvait me contrôler ou me battre. J’avais désormais cette mentalité en laquelle je croyais chaque jour, à chaque entraînement, chaque match, et ça m’a propulsé vers un autre niveau. »

Marchand a maintenant disputé 998 matchs dans la LNH. Il devrait jouer son 999e samedi contre les Capitals de Washington (15 h 30 HE; ABC, ESPN+, SN) et atteindre le plateau des 1000 contre le Lightning de Tampa Bay, mardi. Il totalise 909 points (396 buts, 513 passes), au cinquième rang de l’histoire des Bruins de Boston, et il ne montre aucun signe de ralentissement.

« Même aujourd’hui, j’en suis encore fier et heureux, mais j’ai l’impression d’avoir encore beaucoup à offrir », a dit Marchand à propos de ses 1000 matchs.

Il a remporté la Coupe du monde, la Coupe Stanley et la médaille d’or à deux reprises au Championnat mondial junior. Il a participé au Match des étoiles de la LNH et a terminé cinquième au scrutin dans le vote pour le trophée Hart, remis au joueur le plus utile à son équipe, à deux occasions. Il s’est battu pour faire changer la perception qu'on avait de lui, passant d’une peste à un capitaine, d’une peste à un potentiel membre du Temple de la renommée.

VAN@BOS: Marchand fait payer les Canucks tôt en 1re période

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Les temps ont changé pour Marchand. Après 14 saisons à jouer avec Patrice Bergeron, il a vu le Québécois prendre sa retraite à l’âge de 38 ans, en juillet dernier. Il voyait ainsi son ami de longue date et fidèle compagnon de trio, le dernier membre de l’édition championne de la Coupe Stanley des Bruins en 2011, quitter le navire.

« Ç’a été un dur réveil quand Bergy est parti, a admis Marchand. Je pouvais tout anticiper avec lui et j’étais capable de tricher un peu, parce que je connaissais ses intentions avec la rondelle pour chaque situation. »

Marchand n’avait jamais pensé que son temps surpasserait celui de Bergeron.

« J’étais naïf, a-t-il expliqué. Il a joué 20 ans dans la LNH. Mais j’espérais et rêvais que l’on parte ensemble. »

Il a ressenti la pression de l'héritage de Bergeron et, avant lui, de Zdeno Chara. D'être le capitaine des Bruins, le leader, de devoir trouver une voie qui lui convenait.

C’est devenu plus facile à mesure que la saison a avancé, surtout que les Bruins ont connu des succès quelque peu inattendus et que Marchand a trouvé son rythme. Après avoir mis la main sur le trophée des Présidents de façon historique la saison dernière, établissant des records pour les victoires (65) et les points (135), les Bruins (32-10-9) occupent présentement le premier rang de leur section et de l’Association de l’Est.

Et Marchand, qui aura 36 ans le 11 mai, n’a aucune intention d’accrocher ses patins dans un avenir rapproché. Il est sous contrat jusqu’au terme de la saison 2024-25, échéance d’une entente de huit ans et 49 millions $ qu’il avait signée pendant la Coupe du monde, le 26 septembre 2016.

« J’ai beaucoup pensé à tout ça, a-t-il relaté. Quand Bergy s’est retiré, j’ai pensé à ça pendant un bon moment. J’aime tellement le hockey. Je ne sais pas ce que je ferais sans ce sport. Je suis encore très à l’aise avec mon jeu. L’an dernier a été plus difficile en raison de mon opération à la hanche. Je sens que ça va mieux cette année. J’aurai plus de temps pour m’entraîner et renforcer mes capacités musculaires en vue de l’année prochaine. Il y a encore un peu de faiblesses dans mes hanches et je pense pouvoir améliorer ça.

« J’aimerais jouer au moins jusqu’à l’âge de 40 ans. Je vise encore cinq ans. Ensuite, ça va dépendre de la façon dont mon corps tient le coup, si je peux composer avec la charge de travail quotidienne. »

Il sait bien que ça devient de plus en plus difficile avec l’âge, à mesure que les douleurs augmentent, que les opérations se multiplient et que les enfants ont besoin de plus d'attention. Il sait que le cap des 35 ans peut sonner la pente descendante pour les joueurs de hockey – un cap qu’il a d’ailleurs déjà atteint.

« C’est prouvé qu’on ralentit avec l’âge, a dit Marchand. Mais selon moi, les gars montrent un relâchement côté éthique de travail. Il y a peu de gars dans la Ligue qui ont 35 ans et qui n’ont pas plusieurs enfants et des priorités différentes. Ils ont déjà joué 10, 12, 15 ans et sont à l’aise financièrement pour la vie. Ils sont occupés en permanence avec les activités des enfants. Ils ne s’entraînent pas de la même façon, ne patinent pas de la même façon. Ils ne consacrent pas le même temps et les mêmes efforts que lorsqu’ils étaient plus jeunes. Je n’ai pas cette mentalité. Mon état d’esprit est à l’opposé de ça. »

Marchand soutient que sa famille – sa femme Katrina et leurs trois enfants – comprend que le prolongement de sa carrière va demander plus de temps et d’effort qu’auparavant. Elle le soutient entièrement en ce sens.

La seule chose qui peut le retenir, c'est lui. Et il ne s’infligera pas ça.

Il sait combien de gens donneraient tout pour avoir une chance de jouer dans la LNH. Pourquoi se priverait-il d’une, deux ou trois années?

« Je ne veux pas décevoir le jeune Brad, a-t-il expliqué. C’était le rêve de ma vie. Partir plus tôt, un an ou deux avant le temps, serait difficile à faire pour moi. Je veux me rendre jusqu’au bout. Je sens que j’ai donné tout ce que je pouvais à ce sport. Je vais faire tout ce que je peux pour continuer d’être au sommet de mon art et pour m’assurer de jouer pendant encore longtemps. »

BOS@OTT: Marchand trouve le fond du filet en prolongation

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La carrière de Marchand a toujours eu des allures de montagnes russes, avec des hauts et des bas qui n’ont pas marqué le parcours de tous les autres joueurs, dont la progression a peut-être été plus linéaire. Marchand, dont le gabarit (5 pieds 9 pouces) et le talent ont été sous-estimés, a été sélectionné par les Bruins en troisième ronde (71e au total) du repêchage 2006. Il va devenir le 11e membre de cette cuvée à atteindre le plateau des 1000 matchs.

« Il est possible d’affirmer qu’il est devenu l’un des meilleurs ailiers gauches de sa génération, a affirmé Bergeron. Ce fut un privilège pour moi de partager la glace avec lui pendant la majeure partie des 1000 matchs qu’il a disputés. Ce fut un plaisir de le regarder aller. »

Quinze ans après le début de sa carrière, Marchand occupe le quatrième rang pour les points parmi les joueurs repêchés en 2006, derrière Claude Giroux (1044), Nicklas Backstrom (1033) et Phil Kessel (992). Il n’est pas impossible qu’il trône au premier rang de cette liste au moment de sa retraite.

« Sa carrière est incroyable, vraiment, a mentionné le défenseur des Bruins Charlie McAvoy. Il n’est pas un gars qui a été repêché au premier rang au total et qui était destiné à connaître une grande carrière. Ça fait partie des raisons qui rendent son histoire incroyable. Parce qu’il a travaillé pour tout ce qu’il a obtenu.

« Et ce qu’il est devenu, c’est le produit de tout ce travail, de cette réflexion sur ce qu’il pouvait accomplir, et de ne jamais se satisfaire de ce qu’il parvenait à faire. Il est encore le joueur le plus travaillant avec lequel je joue, et ce qu’il a été en mesure d’accomplir, plus on y pense, plus je crois que ça va le mener au Temple de la renommée. Je suis persuadé qu’il est un joueur qui mérite d’être au Temple. Et même si c’est déjà impressionnant, il n’a pas encore fini de nous épater. »

Pour le moment, une fois qu’il aura atteint le plateau des 1000 matchs, il va tourner son attention vers le prochain jalon d’importance. Avec 909 points et 31 parties à disputer cette saison, il pourrait récolter son 1000e point la saison prochaine. Le 7 décembre dernier, dans un match contre les Sabres de Buffalo, il a obtenu sa 1000e minute de punition en carrière. Il en compte maintenant 1026.

« C’est mon objectif : 1000 points, 1000 matchs, 1000 minutes de punition, a résumé Marchand. J’ai atteint les 1000 minutes de punition. »

Il a été suggéré de trouver un nom pour l’atteinte de ces trois plateaux, un peu comme c’est le cas pour le « tour du chapeau à la Gordie Howe ». Seuls 35 joueurs dans l’histoire de la LNH ont accompli cet exploit, dont Howe, Raymond Bourque, Stan Mikita, Bobby Clarke, Jean Béliveau, Dave Taylor, Evgeni Malkin et Denis Potvin.

Le « Triplé Marchand » peut-être?

Il éclate de rire.

« S’il y a quelque chose qui me ressemble, c’est bien ça, a-t-il lancé. Ça me va comme un gant. »

Article écrit en collaboration avec Wes Crosby et Paul Delos Santos, correspondants indépendants NHL.com

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